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Confiné au jardin : à l’ombre des bêcheurs en pleurs

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“Tu en fais un petit peu tous les jours…” Photo : Philippe Lacoche.

Il nous l’avait promis dès la première chronique: le jardinier confiné a tenu parole; il s’est mis à bêcher. Ce n’était pas gagné: on sait le confiné procrastinateur. Tout lui est prétexte pour filer, tel un vieux matou jouisseur, s’affaler sur le divan. Ou se jeter sur un livre, si possible qu’il n’a pas encore lu ou que, jusqu’ici, il n’est pas parvenu à aborder – timidité? paresse? manque de curiosité? certainement un peu de tout cela. Exemple: A l’ombre des jeunes filles en fleurs, de Marcel Proust, texte qu’il détient dans une très belle édition en reliure cuir bleu nuit – comme les yeux de Charlotte Rampling dans Un Taxi mauve, d’après le roman éponyme de Michel Déon, en 1977 – dans la collection «La Bibliothèque des chefs-d’œuvre» au Sans Pareil éditeurs, dirigée par Claude Tchou, le plus chinois des éditeurs franco-belges, décédé le 31 mars 2010, à Paris. (Vous savez tout, lecteurs curieux et cruellement confinés; il faut bien qu’on vous occupe et qu’on vous cultive.)

«Un petit peu tous les jours…»

Il bêche, donc. Têtu, buté, le front bas de l’homme appliqué, de l’élève concentré. Concentré? Oui, en général, sauf quand son attention est attirée par un ver de terre. Mais nous n’allons pas vous resservir le plat réchauffé du gratin de lombrics que nous vous avions mitonné dans la chronique d’hier. Concentré, oui. Et rêveur, toujours. À chaque coup de bêche, il pense à son père disparu il y a deux ans. C’est lui qui lui avait appris à bêcher. Le geste à la fois lent, sec, coulé, délié et précis comme une couleuvre à collier qui se faufile dans les herbes des sixties à l’ancienne ballastière de Fargniers (Aisne). «Tu ne forces pas; tu en fais un petit peu tous les jours; tu y arriveras…» lui disait-il en souriant comme un vieux cheminot humaniste qui avait connu les bombardements, les Schleus et la guerre. Le confiné bêche, bêche. Têtu et ému comme un ancien gamin car il n’a pas encore vraiment fait le deuil. PHILIPPE LACOCHE

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