Peau d’homme, Hubert (scénario), Zanzim (dessin). Editions Glénat, 162 pages, 27 euros.
Il était une fois, dans l’Italie de la Renaissance, une jeune fille en âge d’être mariée. Mariage arrangé entre le père de Bianca et celle de son promis, le riche et jeune Giovanni. Mais la jeune femme aurait mieux aimé connaître son futur mari. Heureusement, sa marraine lui confie un secret: les femmes de la famille possèdent, depuis des siècles une “peau d’homme”, tunique magique permettant à celle qui l’endosse de prendre l’apparence d’un jeune homme.
Grâce à celle-ci, devenu “Lorenzo”, Bianca va découvrir le “monde des hommes” et savoir qui est vraiment Giovanni. Elle va surtout découvrir, à sa grande surprise, l’homosexualité refoulée de son mari mais aussi son propre éveil à une sexualité différente. Une libération des moeurs individuelle qui va se confronter avec la tyrannie religieuse qui s’impose peu à peu dans la ville, à cause de Fra Angelo, qui n’est autre que le frère de Bianca, religieux dogmatique et passablement obsédé par les déviances sexuelles.
Les fables d’apparence médiévales semblent faire de bons supports pour évoquer bien d’autres sujets nettement plus contemporains. Cyril Pedrosa a commencé à le faire avec sa série de l’Âge d’or et sa vibrionnante héroïne en quête de liberté. Hubert fait un peu de même ici, sur une autre tonalité. Plus intime. Même si la révolte collective va naître de cette libération individuelle.
Réflexion subtile sur le “genre”, la perception de soi et des autres, des désirs sexuels mouvants et de leur répression absurde voire totalitaire, Peau d’homme est aussi un bel hommage à l’émancipation féminine, passant paradoxalement par la découverte du corps masculin, avant d’emprunter les voies plus classiques de la maternité tout en conservant une réelle indépendance d’esprit.
Doux, dans le style, et fort dans le propos, Peau d’homme prend aussi une dimension forcément très émouvante, puisque cet album est devenu une oeuvre posthume du scénariste, décédé en février à l’âge de 49 ans.
Le trait ligne claire stylisé de Zanzim de Zanzim est en tout cas tout à fait approprié pour restituer la fausse naïveté du récit et ses divers niveaux de lecture. Et le dessinateur s’octroie également quelques planches pleine page pleines de virtuosité et de mouvement. Et cette énergie éclate notamment lors de la séquence jubilatoire et libératrice du carnaval, ce “temps des fous” qui va redonner, en fait, sa lucidité et sa conscience à la cité.
Le conte est bon, donc. Et le livre est beau, avec son grand format, ses belles couleurs primaires chatoyantes et un très joli surfaçage en couverture. De quoi faire de Peau d’homme un récit très contemporain et presque déjà un classique. Autant dire, en tout cas, qu’il s’agit sans doute de l’un des albums forts de cette année 2020.
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