Ce lundi matin, l’accusé Thierry Deblangy, 54 ans, s’exprimera sur les faits. Il donnera sa version de la scène au terme de laquelle sa femme Aurélie, née en 1985, est morte, étranglée par un câble téléphonique, le 18 juin 2017, dans le huis clos de son studio de la rue Gambetta, dans le centre de Beauvais. Vendredi soir, il a dévoilé sa stratégie de défense : « Ma lettre au juge d’instruction d’octobre 2018 », à savoir l’hypothèse d’un jeu sexuel qui a mal tourné, et non d’un homicide volontaire.
Contre lui, celui qui fut avocat pendant huit ans à Beauvais (avant de jeter l’éponge, miné par les difficultés financières, elles-mêmes causées par son alcoolisme) a surtout quatorze mois : quatorze mois pendant lesquels il a livré la même version, convaincante, d’un coup de colère irrépressible qui le pousse à commettre un acte fatal, quasiment dans un état second, avant de se reprendre, d’appeler les secours et même de tenter des gestes de réanimation.
« IL FALLAIT QUE ÇA S’ARRÊTE »
Ce récit – « Il fallait que ça s’arrête » – il l’a livré à plusieurs policiers, un enquêteur de personnalité, trois psychiatres, un psychologue, un juge d’instruction. C’est sur cette base qu’un psychiatre a conclu à une altération du discernement. « Je me suis peut-être fait avoir », a lâché le médecin jeudi. On n’est même pas loin de la préméditation quand, la veille du drame, Deblangy, suicidaire, envoie ce texto à un ami : « C’est elle qui me fait la misère. Pourquoi ce serait à moi de mourir ? »
L’accusé a renvoyé pendant deux jours l’image d’un homme dans le déni, un sourire gênant trop souvent aux lèvres (tous ceux qui l’ont connu indiquent qu’il a toujours arboré ce tic et qu’il ne faut pas en tirer la conclusion qu’il se moque du procès ou de la victime). À rebours de tous les témoignages, il ne se considère pas alcoolique (« J’ai arrêté facilement en prison » ). Le fiasco de son passage au barreau ? « Sur les raisons, je ne peux rien dire, mais j’aurais pu reprendre en mai 2017 » . Ses interventions sonnent mal, il s’attache à des détails, surtout à propos de son divorce, vieux de vingt ans, qu’il n’a manifestement pas digéré.
« SEXUELLEMENT, IL M’A DIT QU’ILS FAISAIENT TOUT »
Concrètement, sa thèse de l’asphyxiophilie (lire ci-dessous) va se heurter à deux écueils. D’abord ses déclarations à l’inspectrice qui l’avait interrogé en juin 2018 : « Sexuellement, il m’a dit qu’ils faisaient tout, fellations, sodomie, objets, clubs échangistes. Je lui ai posé la question du sadomasochisme, il m’a répondu Ah non, pas ça ». Ensuite, il y a l’analyse du médecin légiste : « En cas d’asphyxie, le sujet perd connaissance au bout de 10 voire 15 secondes, mais il faut serrer au moins trois minutes pour causer la mort. Il aurait donc, pendant plus de deux minutes, pratiqué un acte sexuel avec une personne inconsciente ? »
S’il persiste sur cette voie, Thierry Deblangy risque de se priver – et priver son conseil M e Varin – d’une cohérente ligne de défense. De l’avis général, il était, en 2017, un homme humilié verbalement et violenté physiquement par sa compagne. Une compagne renvoyée de la police pour avoir menacé de mort, la main sur la crosse de son arme, sa supérieure hiérarchique. « Tout Beauvais le savait , se souvient un patron de bistrot. C’était elle ou lui. À vrai dire, on aurait plutôt cru que ce serait l’inverse… »
L’asphyxiophilie, jeu sexuel déjà évoqué lors de l’héritage du château de Chantilly
De l’érection mécanique des pendus vient la croyance que l’asphyxie peut être à l’origine d’une jouissance sexuelle. Ce jeu du foulard peut être pratiqué en solitaire ou un partenaire. Il serait majoritairement apprécié des hommes.
Le hasard veut qu’il ait joué un rôle dans une page importante de l’histoire de la Picardie.
En août 1830, le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe, devient l’homme le plus riche de France en héritant du château de Chantilly et de toutes les possessions du dernier duc de Condé, son parrain. Officiellement, ce dernier est mort pendu – mais les pieds touchant le sol ! – à l’espagnolette (la poignée) de la fenêtre de sa chambre du château de Saint-Leu. En fait, la thèse la plus communément admise veut que le prince, âgé, ait eu recours à la strangulation comme stimulant sexuel. Il aurait succombé à une séance plus poussée qu’à l’habitude par sa maîtresse la baronne de Feuchères, une ancienne courtisane britannique.
Mais les légitimistes (la branche des Bourbon) se saisissent du doute pour faire courir un bruit qui accable leurs cousins les Orléans : Louis-Philippe aurait fait assassiner le prince de Condé pour éviter que ce dernier ne modifiât son testament au préjudice du duc d’Aumale et au profit du duc de Bordeaux.
Il reste de cet épisode à mi-chemin entre le fait-divers et la chronique mondaine ce bon mot du Figaro : « Mme de Feuchères est une petite baronne anglaise qui ressemble fort à une espagnolette ».
28 septembre (2)
Vingt-trois ans de réclusion pour Thierry Deblangy
Les jurés de l’Oise ont retenu l’intention homicide et rejeté l’altération du discernement. L’ancien avocat est reconnu coupable du meurtre de sa femme.
Lorsque l’avocate générale Caroline Tharot requiert trente ans de réclusion criminelle, ce lundi après-midi, c’est forte d’une certitude : « La mort d’Aurélie, c’est tout sauf un accident ; c’est une exécution ». La procureure se réfère à la première version de Thierry Deblangy : « Il a voulu la faire taire parce que lui, qui a une très haute opinion de lui-même, n’est pas homme à se laisser dénigrer ». Pendant seize mois en effet, Deblangy, avocat au barreau de Beauvais de 2008 à 2015, après une carrière de cadre à l’Urssaf, a expliqué « avec un luxe de détails », que le dimanche fatidique, las des insultes de sa femme, il avait saisi un câble téléphonique et l’avait étranglée : « Un truc m’est venu dans la tête. L’éliminer pour ne plus l’entendre » .
Puis, en octobre 2018, il a écrit au juge d’instruction pour se contredire : l’homicide devenait causé par un jeu sexuel – celui du foulard – destiné à décupler le plaisir par l’asphyxie. Mme Tharot n’en croit pas un mot : « C’est une théorie purement inventée ». Théorie utilitaire à ses yeux car Deblangy, ancien avocat, ne peut ignorer que l’homicide involontaire ne fait encourir que quinze ans, quand le meurtre sur conjoint est puni de la perpétuité.
UNE RÉFÉRENCE AU PROCÈS BARDON
M e Benoît Varin ne le cache pas, c’est en avocat mais aussi en ami qu’il se lève pour défendre l’ancien confrère, qu’il avait aidé de son mieux en 2015. L’alcoolisme avait déjà fait ses ravages et Deblangy ne pourra éviter l’omission du barreau, la liquidation, l’expulsion de son logement.
M e Varin, faisant fi des réductions de peine (c’est de bonne guerre), assène une date : « 2047 », celle à laquelle, selon les réquisitions, son étrange client quitterait la maison d’arrêt.
« C’est disproportionné, quelle que soit la version qu’on retienne » . Et de citer les trente ans qui avaient frappé, dans un dossier présidé par la même juge, Willy Bardon pour l’enlèvement, la séquestration et le viol d’Élodie Kulik. L’avocat n’a pas le droit de ne pas croire à la deuxième version de son client. Il veut tordre le cou à l’hypothèse « du calcul, de la stratégie. Car alors, il l’aurait dit tout de suite ! Là, il a laissé se dérouler une enquête sur des bases qu’il sape lui-même ! »
Avant les plaidoiries, Thierry Deblangy avait eu l’occasion de s’expliquer sur les faits. En vain… Il refusera de répondre aux questions de M e Babilotte, partie civile, et du ministère public.
Il quittera même la salle quand la présidente lira sa lettre de douze pages au juge d’instruction, pour que la cour entende le récit détaillé de l’acte sexuel (sans pénétration) qui aurait abouti à la mort de la jeune femme : « Elle m’a demandé de serrer plus fort. Je l’ai entendue jouir. Elle est retombée sur mon épaule. J’ai soulevé doucement sa tête. J’ai vu les points bleus ». « Il est le seul à y croire », avait prévenu l’avocate générale.