Le Baron, Jean-Luc Masbou. Editions Delcourt, 72 pages, 23 euros.
Le baron Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen naquit en 1720 dans le château de Bodenwerder, près d’Hanovre. Aristocrate de petite noblesse, après une carrière de capitaine de cavalerie voire de mercenaire émérite, notamment dans l’armée russe, il revint finir sa vie en paisible propriétaire terrien dans sa province. Et de cette vie aventureuse, il fit une légende, en contant ses exploits, donnant à une simple partie de chasse ou de pêche des dimensions homériques et des récits fabuleux où on le retrouve volant sur un boulet lors d’une bataille contre les Turcs, s’extirpant d’un puits en se tirant lui-même par les cheveux, allant jusque dans la Lune ou séduisant Vénus.
On le retrouve ici, vieillissant mais toujours alerte, alors qu’il a promis à son épouse de ne plus jamais raconter ses histoires lors d’interminables soirées à la taverne de son village. Mais voilà qu’un colporteur arrive porteur d’une étonnante nouvelle: un livre a été publié réunissant les aventures fabuleuses du Baron.
Honorés et surpris, les villageois vont alors tenter de convaincre leur Baron a revenir, au moins pour cet invité, à l’auberge. Une tâche difficile mais qui sera aussi l’occasion de réentendre certaines histoires.
Plus encore qu’un Cyrano de Bergerac d’Outre-Rhin, le Baron de Münchhausen est l’exemple même de l’affabulateur, génial menteur à la faconde incomparable. Et Jean-Luc Masbou était tout indiqué pour mettre ainsi en scène une telle figure, lui qui dans sa magnifique série “Grand siècle” De Capes et de Crocs avait aussi envoyé ses héros animalier dans la Lune. Il réussit cette fois à bien saisir ce drôle d’animal de Munchhausen. Avec toute la fantaisie voulue, non sans tendresse… et une certaine malice, avec le petit jeu poursuivi durant tout l’album autour de la fameuse scène du Baron chevauchant un boulet de canon, que ce dernier ne cesse de démentir avant de raconter, à la fin, la vraie histoire… De quoi donner tout son sens à la superbe couverture de l’album et son évocation nuageuse et fugitive de l’anecdote.
Inventeur, à sa manière, du “livre dont vous êtes le héros”, le personnage se raconte, d’une anecdote à l’autre, toutes puisées dans l’ouvrage effectivement écrit par Rudolph Raspe en 1785. Et le livre parvient fort bien à restituer l’enchantement des histoires, par un style graphique, une mise en scène, une technique (aquarelle, sanguines…), un habillage des pages et même des typographies différentes, selon les récits. Parmi les plus spectaculaires et réussies: les planches avec leur frise pastichant les peintures d’Ivan Bilibine pour les aventures russes du Baron; technique qu’avait utilisé Riff Reb’s dans cet autre grand livres de contes Qu’ils y restent).
S’il s’agit d’un exercice de (haut) style, l’intérêt de ce Baron est aussi de mettre le personnage en face de sa propre histoire, au soir de sa vie. A la fois pleinement dans son personnage illustre et un peu pathétique parfois, confronté par le livre qu’il découvre avec sa propre destinée de héros de papier effaçant sa vie de conteur, faisant songer au traitement que lui avait fait subir Terry Gilliam sans son évocation filmée.
Ajoutons, pour conclure que cet album, avec son dos toilé et son grand format, est aussi un très bel objet-livre et un beau livres d’histoires pour une fin d’année.
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