
L’affaire de la semaine, c’était le procès, à Laon, de Gérald Descamps, condamné à 20 ans de réclusion pour avoir tué Caroline Pirson, en décembre 2016, à Saint-Quentin. La victime était sourde et muette, l’accusé aussi, tout comme les deux tiers des témoins qui ont défilé à la barre. D’où la présence – exceptionnelle – de quatre interprètes en langue des signes.
Par leur biais, on découvre un monde inconnu car silencieux, qui n’est pas situé dans un continent lointain mais au cœur de nos cités. « Sourd-muet, c’est une dénomination impropre. Les sourds peuvent parler, leurs cordes vocales fonctionnent parfaitement. » L’apprentissage n’a rien d’une sinécure. Quand l’enfant commence à articuler « papa » et « maman » à force de l’entendre rabâcher, le sourd ne dispose d’aucun modèle sonore. Par tâtonnements, il découvrira quelle vibration produit quel son. « Le plus fort, c’est que les sourds peuvent avoir un accent : celui de leur orthophoniste », s’amuse une interprète.
Le procès d’assises révèle à quel point les sourds vivent entre eux. Tout le monde connaît tout le monde. La référence à la « communauté » revient en boucle, les intrigues amoureuses se nouent majoritairement entre sourds, qui se connaissent depuis une scolarité dans des écoles spécialisées.
Ainsi, on prend la mesure du choc éprouvé par l’accusé, interpellé à 6 heures du matin et projeté dans le monde bruyant de la garde à vue. D’où le doute quand, quatre ans plus tard, l’homme est déféré devant la cour d’assises. D’abord, personne ne semble vouloir s’adapter à la situation. Lorsqu’il faudrait des questions courtes et claires, les parties en posent de longues, parfois alambiquées. On observe les interprètes dont les mains volent, hésitent, reprennent leur danse au fur et à mesure des hésitations, des ellipses et des « euh… » Surtout, dans ce dossier, les incohérences des déclarations de l’accusé pendant l’instruction pèsent lourd. On lui reproche par exemple d’avoir nié avoir touché la carte bancaire de la victime (or son ADN était dessus). « On lui avait demandé s’il l’avait utilisée » objecte son avocate. « Touchée » ou « utilisée », ça donne quoi en langue des signes ? Cette subtilité, peut-être anodine devant le policier, devient cruciale devant les jurés (or à chaque mot ne correspond pas toujours un signe !) « On l’écoute mais est ce qu’on l’entend ? » se demande la même avocate.
Enfin, il y a l’impression… Une éducatrice vient à la barre : « Ils peuvent faire peur parce qu’ils nous semblent toujours très énervés, reconnaît-elle. Les sons qu’ils parviennent à exprimer peuvent nous faire penser à des cris. Ils sont très directs. D’ailleurs, ils trouvent que nous, les “entendants”, nous tournons toujours autour du pot » . Ni pires ni meilleurs, ils sont citoyens de la vaste contrée de la différence, celle qui fait si peur à ses voisins.
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