L’étrange affaire Barbora Š, . Editions Denoël Graphic, 208 pages, 23 euros.
En mai 2007, lorsque l’affaire Barbora Škrlová débute (dite aussi “affaire de Kuřim”, du nom de la petite ville tchèque, près de Brno, ou les événements ont eu lieu), cela semble être une banale histoire sordide de maltraitance d’enfants. Suite à un bug de son babyphone vidéo, un père découvre les images d’un gamin, nu et menotté, dans une maison voisine. La mère est vite arrêtée et inculpée de sévices pédopornographiques.
Mais l’enfant, qui dit s’appeler Anna, 13 ans, s’enfuit. Et puis l’enquête révèle que loin d’être une adolescente, il s’agit d’une femme de 33 ans, Barbora Škrlová, qui s’est entraîné et à subi des opérations pour se transformer en fillette. Et peut-être qu’il ne s’agit pas non plus de la victime, mais l’auteur d’une manipulation psychologique sur sa mère d’adoption motivée pour des raisons sectaires. Quelques mois plus tard, Barbora est arrêtée en Norvège où elle se cache cette fois sous l’identité d’un jeune garçon, après avoir manifestement bénéficié de plusieurs complicités. Quatre femmes et six hommes seront condamnés à de la prison et l’affaire fera scandale en République tchèque… mais elle ne sera jamais véritablement élucidée.

Apporter une réponse à cette étrange affaire était le but premier du scénariste, poète et romancier reconnu Marek Šindelka quand il s’est emparé du sujet. Mais il butte vite sur les trop nombreux rebondissements et zones d’ombre: Pourquoi cette machination? Quelles étaient les motivations de Barbora Škrlová et de son curieux père (peut être bien le vrai commanditaire) ? Et quid du nombre de gens – souvent d’apparence très respectable – impliqués ? Et il craint de glisser, lui aussi, dans le voyeurisme médiatique qui s’est emparé du pays.
D’où, au bout de six et demi de travail (salué comme la meilleure BD tchèque en 2018), un récit qui se veut totalement “déplacé sur le terrain de la fiction“, mais qui affirme sa cohérence. Et, après tout, dans cette hallucinante histoire, cette explication en vaut bien d’autres.
Celle-ci suit le fil déroulé par une jeune journaliste d’investigation, qui va remonter jusqu’aux années 30 et à un étrange culte ésotérique fondé par l’Allemand Oskar Ernst Bernhardt visant à faire revenir le messie sur Terre, qui va découvrir les rapports tortueux entre le père de Barbora et ses jeunes fidèles scouts, qui va flirter avec la folie et la paranoïa. Mais, au final, la vaste opération politico-criminelle qui se révèle, dans une ambiance à la Millenium, ne manque pas de cohérence.
D’autant plus déstabilisant qu’il mêle des éléments très réels, ce thriller haletant vaut aussi pour son joli traitement graphique. Une approche également complexe, alternant un trait photoréaliste un peu comics, avec des chapitres au style minimaliste pour les nombreux flashback explicatifs et une partie sepia pour les séquences des années d’avant-guerre.
Voilà en tout cas un très bon et étonnant roman graphique, qui emporte dans un univers trouble et malsain qui ne se laisse pas facilement oublier. Et une belle découverte de la bande dessinée tchèque.
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