Meurtre de Grégory Foulon : les personnalités cabossées des accusés
Un psychiatre a qualifié d’« effet de meute » le processus qui a abouti au passage à tabac fatal d’un marginal, le 29 juin 2017 à Beauvais.
Le lieu du crime.
La première journée d’audience était consacrée à la personnalité des accusés, hier (le verdict est attendu mardi prochain). On en ressort avec cette impression : leurs parcours de vie sont aussi chaotiques et violents que la journée du 29 juin 2017, au terme de laquelle Grégory, un SDF de 45 ans, est mort avant que son corps ne soit jeté dans un bosquet de Tillé, le lendemain, et retrouvé par un promeneur, le surlendemain.
« Au départ, il y avait une ambiance plutôt festive », résume un expert psychiatre. Il y a fête et fête… Ce jour-là, au 120 rue d’Amiens, le menu comporte de la cocaïne, des litres de rhum et du sexe avec la maîtresse des lieux, Déborah.
Elle se présente à l’audience, ce jeudi, enceinte de sept mois. « J’avais recueilli Grégory pour le sortir de sa galère. Il n’avait plus de contacts avec sa famille. C’est pas une vie de vivre dans la rue », dira-t-elle. Pour lui, ce n’est hélas plus une vie du tout…
Déborah n’est pas la plus impliquée dans ce dossier. Elle répond de non-assistance à personne en danger.
« EXTRAORDINAIRE AU SENS PREMIER »
Car l’autopsie est formelle : malgré la succession des coups, notamment au visage, Grégory, secouru rapidement, aurait pu être sauvé. L’histoire de la femme de 34 ans, originaire de Vendée est « extraordinaire au sens premier », insiste son avocat M e Garnier : cannabis à 12 ans, héroïne à 14, prostitution à 15, une balle dans la jambe lors d’une bagarre de bar, une artère artificielle…
Et pas une mention au casier, au contraire de Carmelo Bisset, le vétéran de ce dossier, 44 ans et 42 condamnations, sans compter celle pour viol (dont il a fait appel) que vient de prononcer la cour d’assises de Toulouse.
« Il a dû passer dix-huit ans en prison » , résume son conseil Me Demarcq. Bisset est arrivé du Congo à l’âge de 7 ans. C’est lui qui a invité chez Déborah ses deux copains Dylan Wegner, 26 ans et Bryan Holberbaum, 23 ans. Les trois hommes, à un moment ou à l’autre de l’enquête, ont avoué avoir commis des violences sur la victime, tout en accusant les autres d’avoir tapé le plus et le plus fort. L’audience dira s’ils maintiennent.
Leurs vies sont faites de familles déstructurées, de pères absents, de scolarité médiocre, d’insertion professionnelle à l’avenant et d’addictions diverses et variées.
Comme des rivières tendant vers un fleuve, elles ont afflué le 29 juin 2017 à Beauvais, pour le plus grand malheur d’un homme au parcours guère plus linéaire, qui aurait payé au prix fort le fait d’avoir volé à Bryan 500 euros, un téléphone et de la cocaïne.
20/11/20
24 heures pour mourir
Au deuxième jour d’audience, la chronologie de la nuit et du jour qui furent fatals à Grégory a été établie.
LES FAITS
LE 1ER JUILLET 2017, LE CORPS SANS VIE DE GRÉGORY FOULON, 45 ANS, EST RETROUVÉ
dans un fossé de la route de Rieux, à Tillé, au nord de Beauvais
IL SERAIT MORT LORS D’UNE SOIRÉE ALCOOLISÉE dans la nuit du 29 au 30 juin, dans l’appartement qu’occupe Déborah Charrier. Y participaient Bryan Holberbaum, Bertrand Carmelo et Dylan Wegner.
TOUS TROIS SONT RENVOYÉS POUR MEURTRE devant la cour d’assises de l’Oise, tandis que Mme Charrier doit répondre de non-assistance à personne en danger.
UNE CINQUIÈME PERSONNE, Joé Deby, est convoqué pour recel de cadavre.
Le lieu de découverte du corps.
La présidente Brancourt a eu la riche idée, ce vendredi, de soumettre aux quatre principaux accusés la chronologie qui a abouti à la mort de Grégory Foulon, 45 ans, entre le 29 et le 30 juin 2017, rue d’Amiens à Beauvais. Unité de temps et de lieu : c’est bien une tragédie qui s’est jouée cette nuit et ce jour-là.
Vers 21 heures le jeudi 29, Carmelo Bisset, Déborah Charrier et un prénommé Abdel (qui quittera très vite la bande) partent acheter de l’alcool au Carrefour Market de la place des Halles. Ils y rencontrent Bryan Holberbaum et Dylan Wegner, que Bisset invite à venir chez Déborah. Là, ils retrouvent Foulon, SDF hébergé depuis trois semaines par la jeune femme, toxicomane et prostituée.
FRAPPÉ POUR UN VOL QU’IL N’A PEUT-ÊTRE PAS COMMIS
Alcoolisation massive, usage de stupéfiants : à un moment, Bryan s’endort pendant que Déborah, Carmelo et Dylan s’isolent dans la chambre. Vers 3 heures, Déborah, Carmelo, Dylan et Bryan repartent en ville chercher du whisky, qu’ils commandent via l’appli Allô Apéro. Les deux premiers se rendent chez un ami pour consommer de la cocaïne. Pour Carmelo, il s’agit ainsi de « payer la prestation » de Déborah, qui s’est soumise à des rapports sexuels toute la soirée.
Dylan et Bryan rentrent à l’appartement. Bryan réalise qu’il s’est fait voler 500 euros, de la cocaïne, une chevalière, une puce de téléphone. « L’argent n’était pas à moi, sinon je m’en foutrais », confiera-t-il à sa sœur. Il frappe le premier Grégory, qu’il soupçonne. Dylan tape aussi. Grégory se récrie : c’est Carmelo l’auteur du vol ! Ce dernier ne revient que vers 13 heures, ce vendredi 30, avec Déborah. Mis en cause, il se défend et cogne à son tour la victime, « avec une bouteille cassée et un couteau », accuse Déborah (témoin privilégié mais qualifié de « mythomane » par le psychiatre).
Carmelo part en fin d’après-midi. Restent Bryan et Dylan. « Ils m’ont interdit de quitter la chambre », conte la femme. Dans la nuit j’ai vu un homme que je n’ai pas reconnu. Vous savez, je ne suis pas raciste mais un noir, dans le noir… Et puis j’ai entendu un grand bruit (elle pleure) Ils ne l’ont même pas traîné, ils l’ont jeté ! »
« Ce n’est pas un vol de trottinette, quand même ! Et puis je me mariais une semaine plus tard ; je n’avais pas envie de voir la police débarquer à la noce »
Le frère d’un des accusés
Dans la Clio de son frère Joé – dont l’implication réelle est discutée – Dylan, et Bryan, se rendent à Tillé où ils précipitent le corps dans un talus. Un promeneur le trouvera le samedi 1er juillet. Deux jours plus tard, Holberbaum confie à son frère qu’il veut s’enfuir. Le frère décide aussitôt d’alerter la police. « Ce n’est pas un vol de trottinette, quand même ! Et puis je me mariais une semaine plus tard ; je n’avais pas envie de voir la police débarquer à la noce », justifie-t-il honnêtement à l’audience.
21/11/20
Encore beaucoup de questions en suspens
Reprise ce lundi du procès de trois hommes accusés du meurtre de Grégory Foulon, le 30 juin 2017 près de Beauvais. Le verdict est attendu mardi soir.
La deuxième journée du procès de trois hommes pour meurtre, ainsi que de deux complices, s’est achevée vendredi soir par les rapports des médecins légistes. I
ls ont énuméré du ton clinique qui sied à leur mandat une liste interminable d’ecchymoses, fractures, plaies et hématomes relevés sur le corps du SDF de 45 ans, retrouvé dans un talus de Tillé, près de Beauvais (Oise), le 1 er juillet 2017. La présidente Brancourt a tristement résumé : « Il y a peu de parties du corps qui n’aient pas fait l’objet de traumatismes. »
« Il y a peu de parties du corps qui n’aient pas fait l’objet de traumatismes. »
Quelques certitudes sortent du rapport : Grégory a été victime de coups de pied ou de poing mais aussi d’une arme blanche, au niveau de la cuisse, et d’un « objet contondant » sur le crâne. Sa mort est due aux lésions cérébrales. Seules, les autres blessures, même sa fracture du rein, ne l’auraient pas tué. Il a forcément éprouvé « une grande souffrance » : le dossier enseigne en effet qu’il s’est écoulé au moins dix heures entre les premières et les dernières agressions dont il fut victime, de la part successivement de Bryan Holberbaum, Dylan Wegner et Carmelo Bisset (23, 26 et 42 ans). Il aurait « pu être sauvé s’il avait été secouru à temps ».
Cet ultime point est un pavé dans la mare de Déborah Charrier, locataire de la rue d’Amiens où le drame a eu lieu, lors d’une soirée dédiée à l’alcool, au sexe et aux stupéfiants. Elle est poursuivie pour non-assistance à personne en danger. Pouvait-elle s’opposer aux trois tueurs ? Vendredi, le psychiatre a diagnostiqué chez elle « une forte altération du discernement » mais pas une abolition.
Meurtre ou violences mortelles ?
L’expertise ne sert pas non plus Bisset. Les coups au crâne, à l’aide d’une bouteille cassée, seraient de son fait.
Son avocat, Me Guillaume Demarcq, a senti le danger, suggérant que la victime était peut-être encore vivante quand Holberbaum et Wegner l’ont précipitée dans l’escalier pour rejoindre Tillé dans la Clio de Joé, demi-frère de Wegner, qui nie avoir su à quoi elle servirait en la prêtant. « Les contusions ne correspondent pas à une chute », ont tranché les légistes.
Quand on saura qui a porté les coups mortels, il restera encore à déterminer si un, deux ou les trois hommes (selon le principe de la coaction) ont eu l’intention de tuer. Cette nuance sépare, en droit, le meurtre des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (en réunion et avec arme). Le premier est puni de trente ans de réclusion, les secondes de vingt.
23/11/20
“Il n’avait plus de visage, monsieur…”
Une nuit d’ultra-violence a abouti au calvaire puis à la mort de Grégory Foulon, en juin 2017.
À 16 h 30 hier, au troisième jour du procès et à la veille du verdict, les cinq accusés ont enfin été interrogés sur l’enchaînement des faits ayant abouti à la mort de Grégory Foulon, le 30 juin 2017 à Beauvais, puis à « l’évacuation » de son cadavre dans un talus de Tillé, le 1 er juillet. Leurs témoignages sont en partie contradictoires.
Pour schématiser, le duo Bryan Holberbaum-Dylan Wegner admet, dans la nuit du jeudi au vendredi, avoir frappé la victime à intervalles réguliers pendant huit heures, parce qu’Holberbaum la soupçonnait de lui avoir volé de l’argent, un téléphone et de la cocaïne. C’est pour mieux s’exonérer de la responsabilité directe de la mort du quadragénaire en la faisant porter sur Carmelo Bisset : « Quand il est arrivé le vendredi midi et qu’on lui a dit que Grégory l’accusait du vol, Carmelo s’est énervé. Il lui a mis un coup de couteau dans la cuisse et il lui a tapé sur le crâne avec une bouteille de bière » , accuse Bryan Holberbaum.
LA FÊTE CONTINUE
Ce qui réunit ces deux-là, deux petits délinquants de 23 et 26 ans, c’est le ton monocorde avec lequel ils retracent le calvaire d’un homme : les coups, les râles, le vomi, le sang, l’agonie ; un déchaînement de violence digne du film Orange Mécanique. Il y a le ton mais aussi le contexte.
« DÈS LE DÉPART, TOUT ÉTAIT ARRANGÉ »
Après s’être débarrassés du corps et avoir nettoyé la maison, vont-ils sombrer dans le remords ? Non, le 2 juillet, le rhum coule toujours et la fête continue chez Déborah, rue d’Amiens.
Bryan écrit à un copain : « J’suis chez la meuf, tu veux te faire sucer ou pas ? » Pour info, il voudra… Après Murmures et Chuchotements, Au Théâtre ce soir. Carmelo Bisset, c’est un autre style et un autre pedigree (44 ans et 42 mentions au casier judiciaire). « Je ne veux pas passer pour le berger qui a guidé les moutons », prévient-il. Il mime le seuls coups qu’il veut bien avouer, des entrechats plutôt que des coups de pied. Il alterne les « Sérieusement madame » et « Soyons sérieux ». Il crie au complot : « Dès le départ, tout était arrangé ». Il accuse formellement Holberbaum d’avoir frappé Grégory au crâne. Diagnostiquée mythomane, Déborah est fidèle à sa réputation. Sauf, certainement, quand elle décrit l’apparence de Grégory : « Il n’avait plus de visage, monsieur … »
Un père, un frère, un fils
Cette dernière journée avant les plaidoiries a aussi permis de ne pas résumer la victime, Grégory Foulon, à son ultime calvaire à l’âge de 45 ans. S’il avait connu une dernière année difficile, au point d’être recueilli dans son studio aux allures de squat par Déborah, Grégory, 45 ans, n’était pas totalement coupé de sa famille, insiste son frère.
Grégory, élevé dans le quartier Argentine comme tous les protagonistes de ce dossier (sauf la femme) avait quitté Beauvais à 20 ans pour fonder une famille dans l’Aude. Il en était revenu en 2014 après une séparation. Son frère le logeait. Il le décrit comme « fragile, perdu, démotivé ». Grégory est en contact permanent avec ses sœurs et sa mère mais l’alcool et les stupéfiants l’orientent vers de dangereuses fréquentations.
24/11/20
De 15 à 18 ans de réclusion pour les meurtriers de Grégory Foulon
L’avocate générale a requis hier 20, 18 et 15 ans à l’encontre des trois hommes accusés du meurtre de Grégory Foulon en 2017. Les jurés ont opté pour 15, 17 et 18 ans.
LES FAITS
1ER JUILLET 2017 : découverte du cadavre de Grégory Foulon, un Beauvaisien de 45 ans, dans un talus de Tillé. L’homme a été battu à mort, sur fond d’alcool et de stupéfiants, dans la nuit du 29 au 30 juin.
24 NOVEMBRE 2020 : la cour a condamné pour meurtre Carmelo Bisset (42 ans) à 17 ans de prison, Bryan Holberbaum (23 ans) à 18 ans et Dylan Wegner à 15 ans. Déborah Charrier est condamnée à 24 mois dont 8 ferme pour non-dénonciation de crime. Joe Deby écope de 18 mois dont 12 ferme pour avoir transporté le cadavre.
Certaines dernières journées de procès d’assises semblent prendre plaisir à embrouiller des dossiers déjà compliqués. Ce fut le contraire, ce mercredi à Beauvais, où pourtant se sont succédé sept avocats et une avocate générale. On veut croire que leur talent n’y est pas étranger. Leur volonté de faire court et simple aussi…
Aurore Masson, l’avocate générale, a ainsi trouvé les mots pour expliquer la notion de coaction : « Ils se rejettent la responsabilité, vous n’aurez pas de réponse claire mais peu importe ce qu’a fait X ou Y ! Ils étaient tous là, tous actifs, donc ils sont tous responsables ». Même souci de pédagogie pour développer la notion d’intention meurtrière : « Ils ne se sont pas levés ce matin-là pour tuer ? Ils ne voulaient pas tuer en commençant à frapper ? Ce n’est pas le problème, car on ne parle pas d’assassinat. L’intention, elle découle de l’intensité des coups portés, de leur localisation dans des zones vitales et de leur nombre. Les légistes ont relevé 65 marques de coups et sept fractures ! » La jeune magistrate parle « d’acharnement ».
Elle pourrait mettre les trois accusés dans le même panier. Elle s’y refuse, requérant 20 ans contre Carmelo Bisset, à cause de ses 33 mentions au casier (et non 42 comme écrit par erreur hier) et son « absence totale de remise en question » ; 18 ans contre Bryan Holberbaum, parce qu’il a frappé le premier, soupçonnant la victime d’un vol de cocaïne et d’argent ; 15 ans contre Dylan Wegner, dont l’implication serait moindre.
« DU SABLE »
« Dylan est celui qui a pris conscience que ça allait trop loin et a pris le couteau des mains de M. Bisset », objecte Me Buicanges. « Bryan n’a jamais voulu la mort de M. Foulon. Il est le premier à avoir parlé, il a reconnu avoir frappé le premier, il n’a jamais varié ensuite », complète Me Risbourg.
Leur confrère Me Demarcq est un peu seul contre tous, au soutien des intérêts de Carmelo Bisset. Lui aussi combat l’intention homicide. Il n’est pas convaincu par le réquisitoire, « agréable sur la forme, mais c’est du sable ». Il rappelle que « pendant six ou huit heures, Carmelo n’est pas dans cet appartement » , au contraire de Bryan et Dylan ; que quand ces deux-là (et peut-être le demi-frère de Dylan) partent jeter le corps, Carmelo n’y est toujours pas. Il exhorte surtout les jurés à douter, faute de preuve absolue. « Parce que demain, dans ce box, ça pourrait être votre gosse… »