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  Une vieille lanterne éclaire ma nuit nervalienne

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Louise Boyard.
Mathilde.

C’était une nuit nervalienne et sans lune. Pas de spleen, mais presque. («Pourvu que je ne croise pas une grille fermant un égout du côté de la rue de la Vieille-Lanterne», songeai-je, en pensant au merveilleux poète valoisien et pendu, créateur de «Sylvie».) Une de ces nuits noires, hiémales et humides, piquetés d’un crachin gras comme un mollard. Je ne croisai pas de grille. Et je n’étais plus bien sûr que la rue de la Vieille-Lanterne eût existé à Amiens. En passant devant le Capuccino, l’un de mes bars préférés, mon attention fut attirée par des mélopées; guitares menues et voix féminines se mêlaient, envoûtantes. Je m’approche de la vitrine, aperçois à l’intérieur une foule dense. Des filles. Rien que des filles. Mon cœur palpite. J’éteins ma Marlboro light. Rentre. Je salue le patron, mon ami Bruno qui m’explique que, dans le cadre des scènes ouvertes de son établissement, il accueille ce soir-là Les Bavardes, un collectif lesbien et féministe. Au programme: chansons, lectures, poésies. Je veux en savoir un peu plus. Bruno hèle une jolie jeune fille blonde; elle me sourit comme si elle me connaissait. Bien sûr qu’elle me connaît; je la connais aussi, sauf que je l’ai connue en brune. Louise Boyard, chanteuse, m’accueille avec chaleur et me parle du collectif avant de filer sur scène équipée d’un ukulélé. Elle interprète «Tout va bien», du fascinant Orelsan. J’aime sa voixet son délicat accompagnement à l’ukulélé. Louise Boyard a beaucoup de talent. J’ai également découvert sur scène une mignonne brune prénommée Mathilde. Cheveux tirés en arrière sur une queue, guitare sèche en bandoulière, chemisier blanc et costume bleu nuit, elle chante, d’une voix bien assurée devant une affiche qui arbore le slogan: «Nobody knows I’m a lesbian». Bruno me paie une bière. Je quitte le bar, repars dans la nuit nervalienne. Quelques jours plus tôt: toute autre ambiance. Belle fin de matinée ensoleillée. Paul Bellette m’a convié chez lui pour me rendre ma radio Philips qu’il a réparée avec patience et talent. Il a même eu la gentillesse et l’élégance de la nettoyer. Grâce à lui, Philips a retrouvé sa jeunesse. Quelques coupes de crémant rosé plus loin, alors que je m’apprête à partir vers mon destin, Paul et son épouse m’invitent à déjeuner. J’hésite, de peur de déranger. Ils m’annoncent un pot-au-feu. Je ne peux résister. Il se révèle délicieux; le vin rouge que Paul débouche est, lui aussi, un délice. Je me sens bien chez eux. Leur intérieur me rappelle celui de la maison de mes parents, à Tergnier (Aisne). Nous parlons des chats, de la nature, des oiseaux qui viennent visiter leur jardin. De temps à autre, je jette un coup d’œil sur Philips qui a frôlé la mort et qui, grâce aux mains expertes de Paul, a retrouvé sa voix, sa beauté d’antan et sa vigueur. Nous parlons de la France d’avant, de celle qu’on a aimée comme on eût aimé une femme, et de celle d’aujourd’hui, ultralibérale et consumériste, qu’on rejette comme on rejetterait une catin. Je regarde le jardin caressé par l’hiver et me dis que je suis du monde d’avant.

Dimanche 25 février 2018.

 

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