Le romancier propose un récit très autobiographique. Intime, sincère et touchant.
François s’efforçait de minimiser, invoquant mes «nerfs» qui apparemment n’étaient pas d’une espèce ordinaire. La voix d’Hélène montait d’un ton. «Tu lui passes tout.» Un mot revenait souvent, un mot dont j’ignorais le sens mais qui m’aura poursuivi comme un compagnon de mauvais aloi: «caractériel».»
François est le père du jeune narrateur; Hélène, sa mère. Et le narrateur ressemble comme deux gouttes d’eau de la Dordogne à l’auteur de ce livre délicieux: Denis Tillinac.
Emouvante sincérité
Il est écrit roman sur la couverture du livre. On est en droit de se demander si nous ne sommes pas en présence d’un récit. D’un récit autobiographique. Denis Tillinac le reconnaît: jamais il n’est allé aussi loin dans l’intime. À 70 ans, après avoir publié une quarantaine d’ouvrages et récolté de nombreux prix, il se livre avec une sincérité désarmante, émouvante. Elle fait mouche. Impossible de rester insensible à un tel texte. Il se contente de changer le nom de la commune de son cœur, celle de sa grand-mère Clémence. Auriac devient Térilhac. Son père, chirurgien-dentiste, apparaît en médecin. Et à son narrateur, son double, il prête des talents de peintre et de dessinateur alors qu’on sait qu’il deviendra écrivain. Denis Tillinac brouille à peine des pistes pour nous conter son enfance. L’enfance d’un enfant qu’il présente comme un cancre, renvoyé de nombreuses écoles pour indisciplines diverses. Il gifle ses sœurs en cachette, donne des coups de pied aux enseignants qui tentent de canaliser ses furies. L’auteur n’est pas tendre avec l’enfant qu’il était. Il n’en est que plus convaincant. Nous sommes au milieu des années 1950, dans le quartier Daumesnil, à Paris. L’enfant ne rêve que d’une chose: rejoindre Térilhac et sa famille ancrée dans cette France à la fois éternelle et menacée. Les raisons de sa colère permanente? L’incompréhension des adultes à son endroit mais surtout celle d’une mère (à qui il dédie son roman) qui, elle, ne rêve que de distinction et ne cesse de lui faire comprendre qu’il est un mauvais fils. Son père, un ancien résistant qui a rejoint de Gaulle, plus à l’écoute, plus compréhensif, tente de jouer les modérateurs dans le conflit familial.
Denis Tillinac excelle quand il restitue ces Trente glorieuses qu’il vénère et cette France d’avant qu’il aime tant. Les locomotives sont encore des BB; les marques des tablettes de chocolat sont Cémoi, Menier et Poulain. Les communistes français ne sont pas tous «aussi détestables que les Russes d’un certain Khrouchtchev, auxiliaire de Santan selon le manichéisme de ma grand-mère». Le narrateur collectionne le Miroir-Sprint et admire Anquetil qui vient de gagner son premier Tour de France. Et puis, il y a la langue de Tillinac, un style d’une rare élégance qui fait penser à celui d’un Blondin ou d’un Kléber Haedens. «(…) c’était grisant de penser que ce bivouac où mon enfance avait campé allait disparaître à jamais.» Il nous donne ici l’un de ses m

eilleurs livres, peut-être même le meilleur.
PHILIPPE LACOCHE
Caractériel, Denis Tillinac, Albin Michel; 174 p.; 15 €.
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