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Je voudrais pas crever

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  Ce n’est pas Vian qui le dit. Là, c’est Frédéric Beigbeder qui donne un roman magistral.

Dans l’avant-propos de son nouveau roman, Une vie sans fin, Frédéric Beigbeder cite Mark Twain: «La différence entre la fiction et la réalité, c’est que la fiction doit être crédible.» «Mais que faire quand la réalité ne l’est plus? La fiction est aujourd’hui moins folle que la science», commente-t-il aussitôt avant de qualifier son ouvrage de «science non-fiction» et de préciser que tous les développements scientifiques ont été publiés dans Science ou Nature. Quand on a compris, qu’ici, tout est vrai – en particulier les propos des médecins, généticiens, chercheurs et biologistes–, on est d’abord émerveillé (on se dit que c’est très fort), puis la tête nous tourne: car l’enquête menée par Beigbeder n’est pas des moindres: elle porte sur l’immortalité de l’homme. Ce n’est pas une mince affaire. Il est des romans gratuits; d’autres vont sonder l’insondable. Une vie sans fin est à classer dans cette dernière catégorie. L’humour et le style en plus; il ne fallait pas attendre autre chose de l’auteur de Un roman français.

De la haute littérature

Comment s’y prend-il? Il nous conte l’histoire d’un quinquagénaire qui lui ressemble comme deux gouttes de vodka. Accompagné de ses deux filles – Romy et Lou – et de sa fiancée, Léonore, bientôt rejoints par Pepper, un robot sensible, il décide d’aller consulter les plus grands spécialistes médicaux de la planète. Son but est simple – si l’on peut dire!: ne pas mourir, ou en tout cas le plus tard, mais vraiment, le plus tard possible. Il questionne savants, leur demande si le séquençage de son ADN peut prolonger son existence. «Si vous êtes malade, ça peut permettre de connaître la cause de votre maladie», répond l’un d’eux. «Il existe environ 8000 maladies génétiques et avec votre ADN, on peut en diagnostiquer 3 432.» Voilà qui est clair. Et Frédéric de réfléchir, non sans poésie: «Le cancer est comme un terroriste: il faut le neutraliser avant qu’il ne commette son attentat. Là est la grande nouveauté: avec la génétique, on n’attendra plus d’être malade pour se soigner.»

Bourré de références scientifiques, de chiffres, de pourcentages, de formules bizarres, ce roman pourtant n’être que barbant; il est tout le contraire. Il est vif, drôle, rafraîchissant, intéressant car, à l’instar de Michel Houellebecq lorsqu’il s’attaque aux sciences dures – Beigbeder est un grand romancier. On se demande jusqu’où ira son personnage dans l’outrance; on pense, agacé, qu’il se vautre dans la provocation quand il réclame l’immortalité comme un enfant exigerait un verre de Coca. Et, soudain, à la faveur d’un pic narratif, tout bascule. L’idiotie du souhait de ne jamais crever jaillit. Ça nous donne une dernière partie magnifique d’intelligence, de tendresse, de puissante réflexion, et de mélancolie (on a l’impression de se retrouver dans les derniers pages du Journal intime de Roger Vailland lorsqu’il rédige, comateux, juste avant sa mort). De la haute littérature qui, jamais, ne se prend au sérieux. Tout Beigbeder est là; c’est comme ça qu’on l’aime.

Frédéric Beigbeder, écrivain, journaliste, lors de la présentation du nouveau Lui. 3 septembre 2013, à La Société, à Paris, place Saint-Germain.

PHILIPPE LACOCHE

Une vie sans fin, Frédéric Beigbeder ; Grasset ; 348 p. ; 22 €.

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