
J’étais arrivé au Capuccino par hasard. Il faisait à peine nuit. Le trio Kamélectric donnait un concert. Je reconnus tout de suite l’ami Louis Noble, saxophoniste et guitariste, qui fut aussi barman au Bar du Midi (BDM). Il n’avait pas son pareil pour me servir l’une de mes bières préférées: la Cadette (année de création: 2016; style: bière de tradition française; fermentation: basse; une création de la brasserie Castelain, de Bénifontaine, dans le Pas-de-Calais; voilà pour la publicité; M. Castelain, vous pouvez me faire parvenir trois canettes, discrètement, à mon nom au Courrier picard, 29, rue de la République, 80000 Amiens; nous saurons quoi en faire). Louis est le fils de Philippe Noble, ancien directeur du réseau franco-néerlandais de l’enseignement supérieur et de la recherche, et éminent traducteur du néerlandais. (Il a notamment traduit l’écrivain Cees Nooteboom.) Louis, lui (c’est facile à écrire, mais difficile à prononcer, Louis, lui) traduit ses émotions par la musique. Ça lui réussit plutôt bien. La preuve: le fantastique concert de Kamélectric ce soir-là. À ses côtés, un percussionniste-batteur, Sébastien Dault, aussi vif et habile que B.J. Wilson, l’inoubliable drummer de Procol Harum, symphonistes des peaux, magicien des toms, ébouriffeur de cymbales, éventreur de grosses caisses. Sébastien: aussi vif et habile qu’un caméléon en train de choper une mouche avec sa langue longue (c’est facile à écrire mais difficile à prononcer, sa langue longue). Du caméléon, il en est beaucoup question ici. Le nom du combo, d’abord, y fait directement référence. Ensuite, Sébastien n’hésite pas à recouvrir son visage d’un masque caoutchouté de caméléon, ce qui produit à la fois un effet hilarant et inquiétant. Le trio doit également beaucoup à Gus qui passe avec brio des petites percussions, au sitar et aux claviers. Ensemble, ils produisent une musique inouïe, puissante, géniale, bouillonnante et indéfinissable. On y découvre des bases rythmiques et ses sons africains, des accents de funk torride, de jazz fusion perché et de progressif bourré au mezcal du rock’n’roll. (Cela me fit penser aux puissantes envolées de Van der Graaf Generator et de King Crimson.) Van der Graaf et King Crimson: j’écoutais ces groupes au tout début des seventies. J’avais les cheveux longs, bouclés, et ressemblais à une manière de Louis XIV à la ridicule perruque anthracite. J’allais tous les matins, par le train de 7h16 (le Dijonnais) à Saint-Quentin pour me rendre au lycée Henri-Martin. Je portais une veste de velours côtelée de couleur chocolat qui avait appartenu à mon grand-père Alfred, ancien poilu de la Somme, et ancien cheminot. Je portais également un béret basque bleu nuit qui appartenait à mon père, prénommé Alfred, lui aussi. Je revois mon père partir, les matins d’hiver enduits de brume humide et grasse, vers son boulot, empruntant la passerelle de Tergnier. Il portait un imperméable mastic, pas un loden, non. Je revois mon grand-père courbé dans le jardin, en train de biner le potager. C’était des cheminots. «Des privilégiés», insinuerait aujourd’hui le président des riches qui veut privatiser la SNCF, notre maison-mère, et broyer le statut avec ses minuscules avantages, avantages gagnés au prix de luttes terribles. Cheminots, je suis à vos côtés. On en a vu d’autres. Ce n’est pas un jeune président ultralibéral et providentiel qui nous fera déposer les armes. Résistance fer! Vive Longueau, Tergnier, Saint-Pierre-des-Corps…
Dimanche 8 avril 2018.
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