Le livre des livres, Marc-Antoine Mathieu. Editions Delcourt, 50 pages, 27,95 euros.
Marc-Antoine Mathieu « explore les formes narratives ou plastiques« , comme le précise la biographie de son éditeur, à travers des installations scénographiques avec l’atelier Lucie Lom et, bien sûr, avec ses bandes dessinées portant au plus haut l’humour absurde à la Borges mâtiné de Kafka et de gestion des contraintes oubapiennes dans un noir et blanc sublimé. Et en poussant souvent au plus loin les contraintes formelles, comme dans 3″ ou Le Sens, pour ne citer que les plus récents.
Cet ouvrage – qui n’est pas a proprement parler un « album de bande dessinée » se situe un peu au milieu de ce travail graphique. Houellebecq avait écrit sur La possibilité d’une île. Mathieu, lui, imagine ici la possibilité d’un livre.
Après l’incendie du « Grand Entrepôt des Albums Imaginaires », toutes les couvertures en attente de leurs histoires partirent en fumée. Seules quelques-unes purent être sauvées. Et rassemblées dans ce « livre des livres »…
Livre des livres, il l’est déjà par le fait de réunir et rassembler autant de livres potentiels (vingt-trois pour être précis). Mais aussi par le fait que chacun des livres sauvés renvoie lui-même à un univers particulier, aux multiples références. Chacun se présente en effet dans une double page avec sa couverture mais aussi sa quatrième de couv’ et son traditionnel résumé (que généralement on ne lit pas, sauf ici où, forcément, il devient l’unique référence littéraire).
On peut ainsi s’amuser à trouver la trace ou des clins d’oeil à Hergé dans l’Horizon alternatif (de Timothée Carmanunia contant l’odysée du cargo Karaboudjan au bout du monde) à Borges cité dans La Pensée-thorax, mais aussi à Magritte, Moebius, Schuiten et bien sûr à son propre univers de Julius Corentin Acquefacques.
Au-delà du graphisme de l’illustration, toujours aussi magistrale, et se déployant ici dans divers styles, de la ligne claire à la quasi-abstraction jusqu’aux espaces insondables de la SF, Marc-Antoine Mathieu s’amuse aussi à mettre du sens (et une bonne dose d’humour) dans les plus petits détails.
Chaque texte de présentation regorge de références plus ou moins limpides, le nom des auteurs joue sur les mots (en étant des anagrammes loufoques du propre nom de l’auteur. Et cela va jusqu’au nom des maisons d’éditions, clins d’oeil à des éditeurs bien réels, dans les noms et même dans la graphie…
Et c’est ainsi que ce livre sans histoire – mais aux cents histoires – révèle tout son potentiel.
Derrière son apparence au prime abord basique et limité, il ouvre grand les portes de l’imaginaire au lecteur, libre de se remémorer les ouvrages cités, de se plonger dans le dessin pleine page, véritable tableau ou de créer lui-même, sur ses bribes de récits, sa propre oeuvre. En se libérant de la contrainte de la narration et du récit, Marc-Antoine Mathieu offre un temps quasi-illimité de lecture. Ludique et brillant, une fois encore.
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