Sous les arches du cloître Dewailly, je rêvassais mollement devant mes livres que je proposais de dédicacer aux visiteurs épars. Il faisait gris; on s’y habitue. Des gouttes molles et tièdes, qu’on eût dites tombées du vit d’un vieillard cacochyme à la prostate d’éléphant, s’affalaient, nonchalantes, sur le revêtement de la cour, entre deux éclaircies. Organisé par l’association Valentin-Haüy, le salon de livre d’Amiens m’avait invité, à l’instar d’autres écrivains et illustrateurs. Pour me divertir, je contemplais Jean-Louis Crimon qui ne cessait de mitrailler, à l’aide de son tout petit appareil photographique, les gens qu’il croisait. Jean-Louis, qui déteste qu’on le photographie, adore photographier ses prochains et même ses lointains. Il le fait assez souvent avec talent, sans, cependant, en demander l’autorisation aux modèles. Certains adorent; d’autres apprécient moins. C’est la vie. Ensuite, Jean-Louis nous gratifie de reportages sur Facebook. C’est sa façon de figer dans le temps les bons moments. Sur le salon, nous avons rendu, le samedi, un hommage à notre ami Jacques

Béal qui ne cesse de nous manquer. J’avais invité à la table de conférence Hélène, la femme de Jacques, Jean-Pierre Garcia, Jean-Pierre Ternisien (mon immense copain ex-légionnaire, celui que je surnomme Jean-Claude Depard dans mon dernier roman) qui ne put se déplacer, cloué au lit par une douloureuse crise de goutte, et notre sacré Crimon. Au cours de l’hommage, je ne cessais de revoir Jean-Louis et Jacques, deux ans plus tôt, à ce même salon, se brocarder fraternellement et chahuter. Dans la salle, une quinzaine de personnes (dont la Marquise) écoutaient, attentives. Émues. Au moment de l’apéritif (champagne pour la Marquise; eau plate pour moi), et alors que la jolie Barbara Pompili fit une apparition blonde et remarquée (je ne manque pas une occasion de lui faire la bise; ça doit être la seule macroniste que j’embrasse; je m’étonnerai toujours), Jean-Louis annonça qu’à son tour Raymond Pronier, notre bon copain écrivain, ex-journaliste au Courrier picard, allait, à son tour, apparaître. Je ne lui fis pas la bise; cela ne m’empêcha pas de le saluer avec chaleur. J’aime beaucoup ce haut garçon intelligent, littéraire et modeste. J’aime nos conversations qui vont chercher dans la vase de l’histoire de notre journal quand celui-ci était encore une coopérative ouvrière et qu’il ne se doutait pas qu’un jour il déménagerait au bord de la Somme, presque en face d’une soucoupe volante. En sortant du restaurant, quai Bélu, nous saluâmes Antoine Grillon, directeur de la Lune des Pirates, et le joyeux Fred Thorel. La Marquise, en compagnie de la toute mignonne Brigitte Ternisien, libraire à Abbeville, se faufila dans la salle où se produisait un groupe de jazz composé d’élèves du Conservatoire. Puis, baguenaudant au bord du fleuve plein de brèmes crémeuses, le Jean-Louis, une fois de plus nous mitrailla, comme il mitrailla, deux jours plus tard, notre bon copain Pascal Pouillot avec qui, à propos d’une discussion politique, il s’embrouilla la crinière. «Tu n’es qu’un mulet!» lui lança Pascal. On se serait cru chez Pagnol.
Dimanche 17 juin 2018.
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