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  Mes Dessous chics? Manon! À quoi bon?

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                 Une amie très chère, à l’accent justement birkinien, m’a rendu, il y a peu, le CD Birkin-Gainsbourg, Le Symphonique. Je l’ai embarqué dans ma voiture et n’ai cessé de le passer. Grâce aux arrangements égrenés par l’orchestre symphonique, j’ai redécouvert à quel point Gainsbourg avait l’âme slave. Cette mélancolie

La couverture de l’album Le Symphonique de Birkin-Gainsbourg.
Lou-Mary lors d’un spectacle au cabaret la Belle Epoque, en novembre 2009. Elle y chantait notamment « La Gadoue ». Son côté très birkinien faisait mouche.

profonde et tenace qui se dilue dans les eaux absinthe de la tristesse; cet humour dadaïste. Il n’y avait que Birkin et sa voix indicible, si singulière, pour tenir tête aux succulents arrangements de Nobuyuki Nakajima. Je l’ai passé, et repassé. Dehors le temps était gris plomb. Les guirlandes de Noël frissonnaient sous l’effet d’un vent glacial. Je repensais, mélancolique à mon tour, aux événements de ma vie qui furent accompagnés par quelques-uns de ces chansons. 1984. «L’aquaboniste»: nous habitions, Féline et moi, rue Pierre-Jacoby, à Beauvais. Je revois la tête du boucher, au rez-de-chaussée de notre immeuble. Des yeux noirs; une barbe bleutée. Une tête à jouer dans un film de Marcel L’Herbier. Début des années 1990. Sur la route entre Sept-Saulx et Reims. Je reviens des obsèques de mon cher cousin Guy, le Pêcheur de Nuages. Dans la voiture, ma cousine et moi, les yeux embués, nous nous interrogeons longuement sur son choix. Elle finit par dire: «Son désespoir était finalement contenu dans la chanson de Gainsbourg: «Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve…»…» Je revois la rocade, aux abords de Reims. L’air crayeux. Et toute cette tristesse autour de nous alors, qu’enfants et adolescents, nous avions été si heureux dans la légèreté douceâtre des étés champenois des Trente glorieuses au parfum de blé mûr. 1978. Nous écoutons «Manon», Féline et moi. Nos amours sont naissantes. Les plus beaux instants. Nous nous promenons dans cette Aisne estivale d’antan. Je revois la pochette du disque vinyle de Gainsbourg qui contenait cette chanson grave et imbibée de désespoir amoureux. Nous empruntons le chemin de halage du canal de Saint-Quentin pour aller rendre visite à notre copain Jean Brugnon, éclusier de profession qui, cet été-là, officiait au Point Y. Qu’est devenu Jean Brugnon? 2005. Chez moi, port d’Amont. Lady. B à mes côtés, admirable panthère lascive et sensuelle, ébroue sa crinière brune et me lance, éclatante de sourire et de grâce de dame mûre: «Ta chronique, pourquoi tu ne l’appellerais pas Les Dessous chics, mon chaton?» Les lignes que tu lis chaque dimanche, lectrice adulée, viennent d’être baptisées. 2007. Lou-Mary, vêtue d’un ciré jaune et de bottes en caoutchouc, sur la scène du cabaret La Belle époque, à Briquemesnil-Floxicourt, dans la Somme, chante «La Gadoue» en secouant son joli corps de grande didiche. En écrivant ses lignes, je regarde sur Internet et tombe sur une photographie du fameux cabaret. Envie de boire ou de pleurer. Au choix. Pas les deux, non; un Ternois est incapable de faire deux choses aussi importantes en même temps. Mai 2002. Suis au comptoir du bar Le Saint-Pierre, à Abbeville. J’attaque ma cinquième Bavic. Je croise le regard de Léo, lolita brune comme les blés. Elle a 23 ans; j’en ai 46. Un divorce derrière la cravate et quelques bagarres au compteur. Je lui dis d’une voix pâteuse: «Tes vingt ans, mes quarante, si tu crois que cela me tourmente», à la barbe de son fiancé. Elle me sourit, troublée. Notre passion folle durera trois ans.

Dimanche 24 décembre 2017.

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