RIP, tome 1: Derrick, Je ne survivrai pas à la mort, Gaet’s (scénario), Julien Monier (dessin). Editions Petit à Petit, 98 pages, 16,90 euros.
Plutôt connues pour leurs guides illustrés (sur 14-18 ou Paris) ou des ouvrages en lien avec la Normandie, où elles sont installées, les éditions Petit à Petit proposent aussi avec des albums plus singuliers. C’est le cas avec ce RIP, début annoncé d’une série qui bouscule pas mal (à l’image de son trailer vidéo, voir plus bas…)
Le héros, du moins le personnage central, anti-héros looser et conscient de l’être “bosse dans la mort… mais pas dans les plus belles morts”. Derrick est un « nettoyeur ». Un métier sordide qui s’apparente aux vautours. En cas de morts esseulés et sans famille, c’est à lui et à ses camarades que l’on fait appel pour aller récupérer les objets de valeur dans les maisons des cadavres.
Le reste de l’équipe est composée d’autres abîmés de la vie: Eugène, colosse violent, ex-disc jockey emprisonné pour avoir corrigé trop durement un jeune qui avait voulu lui piquer un disque ; le petit Albert, avorton tombé amoureux de l’image d’une jeune femme victime d’overdose dont ils ont conserve pieusement les photos. Il y a aussi Mike, fan de jeux à gratter et passablement mytho et le vieux Maurice, mutique et cachant son mal. Et pour couronner le tout, Derrick vit avec une greluche antipathique.
Un jour l’équipe se retrouve autour d’une histoire particulièrement glauque: une vieille dame vivant seule avec son fils handicapé est décédée cinq ans auparavant. Dans l’ambiance pestilentielle, Derrick trouve une bague manifestement de grande valeur. Et il décide de la garder. Mauvaise pioche, un lointain héritier vient la réclamer, le patron menace de virer tout le monde, les soupçons se portent alors sur un jeune beur, qui venait justement faire un extra ce jour-là. Sous l’impulsion d’Eugène, toute l’équipe décide d’une expédition punitive, qui va faire basculer tout le monde dans le drame et le fait divers sanglant…
Cet album a beau citer Goethe en exergue final (“Une vie inutile est une mort anticipée“), au prime abord, on trouve nettement plus romantique comme sujet. Tout ici à de quoi rebuter, entre cette mort omniprésente sous ses aspects les plus repoussants et cette bande de paumés antipathiques. Mais c’est une vraie bonne série noire qui se déploie au fil de ces quelques cent pages. C’est d’ailleurs l’intérêt de cette pagination ample que de pouvoir prendre son temps pour poser la situation et les personnages. Les deux auteurs y parviennent fort bien.
Gaet’s (alias Gaëtan Petit), connu pour ses bio rock en BD change de rythme et concocte un vrai univers singulier. L’intrigue, à proprement dite, ne démarre d’ailleurs que vers la cinquantième page (avant de monter crescendo en intensité). Auparavant, c’est un récit d’ambiance qui s’impose, rythmé par la voix off désenchantée de Derrick. Spectateur, au début du moins, de cette progression dans la bêtise, le racisme, la violence, le crime. Le dessin de Julien Monier (est au diapason de cette ambiance glauque et sordide. S’éloignant du style réaliste utilisé dans les deux guides évoqués plus haut (sur Paris et 14-18), il développe un trait plus caricatural, expressionniste et des ambiance sombres mais très soignées.
Débutée comme une chronique à la Affreux, sales et méchants, ce premier tome bifurque vers le polar avec la même fluidité. Et il promet sans doute d’autres surprises à venir. En tout cas, si “des gens meurent dans l’indifférence générale“, cet album ne laisse pas indifférent, lui.
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