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Traces marquantes de la Grande Guerre

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Traces de la Grande Guerre, collectif. On a marché sur la bulle éditions, 152 p., 22 €.

Dix-huit histoires courtes pour commémorer la fin de la guerre. Et 43 auteurs qui illustrent l’internationalisation de ce premier conflit mondial, derrière une couverture intrigante (due à Dave Mc Kean), mais avec une soft touch soyeuse.

Des récits qui montrent qu’un siècle plus tard, ces « traces de la Grande Guerre » stimulent encore les esprits et perdurent dans les mémoires, ressurgissant de manière impromptue, à l’image du squelette du soldat italien découvert par une bande de jeunes dans l’histoire de Charlie Adlard et Robbie Morrisson qui ouvre l’album, en prolongement à leur magnifique Mort blanche (un récit que l’on avait pu déjà voir, en avant-première et en affiches au printemps dernier à Amiens).

L’insouciance de la jeunesse est aussi présente dans le joli récit parallèle imaginé par Régis Hautière et Thomas Von Kummant (dessinateur de la série Gung Ho). Tandis qu’une soirée se déroule dans le décor devenu bucolique d’un ancien bunker près du « kilomètre zéro », à la jonction entre l’Allemagne, la France et la Suisse, un Poilu se remémore, en voix off, un épisode absurde de sa guerre et ses retrouvailles impossibles avec son frère, tous deux Alsaciens mais dans deux camps opposés.

À l’inverse de cette incompréhension futile, le havrais Riff Reb’s mêle de façon sensible – et visuellement superbe – le souvenir d’une nuit de sa jeunesse punk et sa découverte du livre des Hai-Kaï du poète Julien Vocance, dont les courtes fulgurances deviennent autant de mini-tableaux dantesques et graves.

Détail d’une planche d’Impénétrables empreintes”, histoire courte de Riff Reb’s

Un dévoilement autobiographique émouvant et une belle manière de faire dialoguer ces deux facettes du souvenir.

Même approche personnalisée pour Kris, associé à Juan Diaz Canales (scénariste bien connu de Blacksad, révélé en auteur complet avec Au fil de l’eau). Chez eux, de la guerre peut naître l’amour: l’amour physique d’un couple qui se retrouve à Verdun, l’amour des grands auteurs ayant écrit sur 14-18 et « qui ont laissé des traces de leur guerre pour que j’écrive les miennes pendant toutes ces années », comme le note le scénariste de Notre-Mère la Guerre, en conclusion d’un récit en noir et blanc d’un réalisme sobre.

Balancement entre passé et présent

Ce balancement entre passé et présent est au cœur de l’histoire de Mikiko, Allemande d’origine japonaise. Ici l’horreur de la Guerre de 14-18 et de ses conséquences dramatiques vient s’incarner dans un petit jeu graphique entre le « poppy » du souvenir et la croix gammée. Il l’est aussi dans les planches d’Edmond Baudoin, à travers un double regard, entre des illustrations allégoriques très colorées, pleine page, et les réflexions de deux adolescents s’interrogeant sur la possibilité de voir renaître l’horreur. Ce balancement est encore visible dans le récit de Maël, qui avec son beau dessin délicat rehaussé à l’aquarelle fait revivre le souvenir de l’ancien village de Vauquois, en 1916, alors qu’une énorme mine bouleversa à jamais le paysage de ce coin de Meuse.

Autre cratère de mine, celui d’Ovillers-la-Boisselle et du jeune sapeur anglais qui en fut à l’origine, au centre du récit émouvan de Jean-David Morvan, illustré en clair-obscur par Scie-Tronc. Cet aspect britannique est aussi abordé par Mary et Bryan Talbot, avec une approche didactique, pour rappeler le combat de deux suffragettes, Fred et Ammeline Pethick-Lawrence.

Sommets littéraire et graphique

Narrativement, le récit d’Ian Rankin est l’un des plus marquants. En quatre pages brillamment mises en scène par l’auteur de comics Sean Phillips (dessinateur de la série Kill or be Killed, notamment), il brosse un vrai petit roman noir mêlé à une réflexion sur le besoin immémorial de jouer à la guerre. Mais graphiquement, c’est la mise en image de deux poèmes de Simon Armitage par Dave Mc Kean qui s’impose, dans le style surréaliste, flamboyant et sombre déjà déployé dans Black Dog. Avec son univers étrange et fantasmatique d’une incroyable force visuelle.

Une des planches de “T’es sûr ?” d’Edmond Baudoin

Certains auteurs ont emprunté des chemins de traverse. Ainsi, Efa et Aurélien Ducoudray restituent les traces physiques de la guerre à travers l’évocation d’une « gueule cassée » dans un bordel.
Joe Kelly et Ken Nimura illustrent une forme d’effet papillon, entre des munitions qui manquent et l’édification un siècle plus tard d’un centre de rééducation pour handicapés.
Denis Lapière et Aude Samama tissent eux un parallèle, au départ surprenant entre l’attaque au camion jihadiste de Nice le 14 juillet 2016 et un blessé de guerre victime d’obusite. L’Ivoirienne Marguerite Abouet (la série Aya de Yopougon), associée au Turc Ergün Gündüz, a choisi elle de revenir sur un épisode autobiographique, un atelier d’écriture mené dans un petit village situé entre Sedan et Verdun. Un récit un peu bavard et à la chute laissant perplexe, mais qui rappelle l’importance de la mémoire des lieux.
Le style naïf de la Russe Victoria Lomensko, son dessin au feutre et aux couleurs pétantes peuvent également étonner. Comme le parallèle qu’elle établit entre le régime du Tsar de 1914 et celui de Poutine aujourd’hui. Démonstration – un peu forcée – des leçons à tirer de l’Histoire.
L’indien Orijit Sen apparaît plus détaché encore, en contant l’odyssée du Komagat Maru, paquebot d’immigrés indiens refoulés à Vancouver durant l’été 1914, sorte d’Exodus asiatique à l’issue dramatique. D’apparence hors sujet, mais rappelant en creux que même lors d’une guerre mondiale, il existe d’autres conflits, plus invisibles.

Treize auteurs pour une «Guerre éternelle»

Enfin, il faut porter un regard particulier sur “Guerre éternelle”. Ce n’est pas forcément l’histoire la plus originale. Mais certainement la plus singulière dans sa conception. C’est en effet un «atelier virtuel» de 13 auteurs qui a réalisé le récit de «La guerre éternelle». Un récit vertigineux, allant de la préhistoire à nos jours et d’une confrontation primitive entre deux clans à une autre forme de guerre, économique. Dans une grande fluidité, c’est toute l’Histoire de France (vue depuis la Lorraine) qui défile en quatre pages. Et un message doux-amer sur l’espoir ténu d’en finir un jour avec ce bellicisme si humain.

Divers par leur approche et leur style, ces récits remplissent pleinement leur rôle. Au-delà du « casting » international qui impressionne au prime abord, c’est l’émotion qui s’impose au fil de la lecture. Un regard original qui exprime, à travers le langage de la bande dessinée, une riche palette de sentiments. De cette guerre, désormais, il restera ça. Un beau témoignage graphique de transmission de la mémoire.


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