Avant un numéro spécial, ce mercredi, évoquant les conditions de travail de l’équipe depuis les attentats, et avant une grande soirée « Toujours Charlie ! » aux Folies Bergères ce samedi 6 janvier, Charlie Hebdo s’est fendu, ce 27 décembre d’un autre numéro spécial « 1992-2017: 25 ans d’histoire ».
Ce numéro « spécial 25 ans de Charlie » est, avouons-le un numéro un brin décevant, même s’il prend forcément un côté « collector ».
L’aspect « spécial » du numéro se trouve rassemblé dans les huit pages centrales du journal, qui se proposent de rappeler ces vingt-cinq ans « en première ligne ». Un rappel des épisodes précédents qui ne s’adresse pas forcément à ceux (nombreux) qui critiquent Charlie sans l’avoir lu et ne le liront pas plus, comme l’indique Gérard Biard dans son édito introductif. Mais bien plutôt aux lecteurs fidèles de l’hebdo satirique, lecteurs des premiers jours (voire même de son ancêtre La Grosse Bertha, voire du Charlie, première manière) ou lecteurs plus récents.
L’ensemble prend la forme très classique d’un éphéméride, par dates et par années, le tout illustré par des unes marquantes de l’hebdo. Le choix et la sélection des unes et des autres est forcément restrictif et subjectif. Mais le malaise vient des éléments oubliés et de la manière d’évoquer cette histoire-là.
On comprend aisément le choix fait de ne pas reproduire la fameuse une des dessins de Mahomet, qui a servi de prétexte à Al-Qaida pour lancer sa fatwa, conclue de la façon sanglante que l’on sait. Compréhensible aussi, pour d’autres raisons, l’absence de la couv’ du 7 janvier 2015, ce numéro étrangement prophétique avec le « mage Houllebecq », sorti le jour de l’attentat contre la rédaction. En revanche, la une du numéro historique d’après-attentat est bien là, parmi bien d’autres qui montrent – et démontrent ? – la pluralité des thèmes et personnages brocardés.
La gêne vient plutôt de la sélection des dates et événements évoqués. Un peu à la manière de la grande (et néanmoins passionnante) expo sur les Pink Floyd au Victoria & Albert Museum de Londres l’an passé, c’est une histoire « officielle » lissée qui transparait. Comme pour le band mythique du rock progressif qui évitait l’évocation des déchirements violents entre les musiciens, le texte ici ne dit rien de la Grosse Bertha, journal qui marque pourtant la vraie renaissance de « l’esprit Charlie« , en résistance à la première Guerre du Golfe, rien des désaccords qui aboutirent à la scission d’une grande partie de l’équipe autour de Philippe Val et de Cabu – partisans d’un journal plus politiquement engagé à gauche.
Rien non plus – ou quasiment rien – sur le glissement de l’orientation du journal sous l’égide de ce même Philippe Val, d’abord vers un atlantisme aligné sur l’OTAN lors de la guerre en Bosnie puis une dérive de plus en plus droitière ; les oppositions internes à la rédaction lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005, entre les éditos pro-Constitution de Val et les dessins hostiles d’une bonne partie de la rédaction, n’ont droit qu’à une évocation lapidaire.
Cette façon aseptisée et brève de revenir sur l’histoire vire parfois même carrément à une relecture de l’histoire à la mode stalinienne, faisant disparaître de l’Histoire les personnages gênants. Ainsi, pas un mot sur Patrick Font, le complice des débuts de Philippe Val, compagnon de route et rédacteur régulier au début de l’hebdo, avant qu’il ne soit jugé et condamné pour pédophilie (et que Val s’en dissocie fermement). Pas un mot non plus sur Siné, présent pourtant depuis le premier numéro, ni sur son éviction en forme de procès de Moscou et l’accusation infamante d’antisémitisme dont le dessinateur a depuis été lavé.
La semaine précédente, Riss, dans un éditorial bien senti prenait le parti de défendre le droit de rire de tout (depuis certains lui ont répondu avec des arguments intéressants également). Faut-il croire qu’il n’est pas permis, en revanche, d’écrire sur tout quand on refait l’histoire de Charlie hebdo ?
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