Le romancier nous entraîne dans les pas de l’épatant et attachant communiste Boukharine.

On se souvient certainement plus de Gérard Guégan (ancien collaborateur des Cahiers du cinéma, de La Marseillaise, de L’Humanité; auteur de la chanson «Mao Mao», pour le film La Chinoise, de Jean-Luc Godard) que du camarade Nikolaï Boukharine (révolutionnaire, brillant intellectuel, foncièrement bolchevik, puis résolument communiste, proche de Lénine, membre du Politburo, liquidé par Staline). Pourtant, d’un tempérament modeste, c’est justement un pan de la riche et épatante vie de Nikolaï que Gérard souhaite nous faire découvrir au cours de son roman, Nikolaï le bolchevik amoureux, tout aussi épatant.
«Il (…) nous sert,
tout chaud, tout vif,
tout frais un roman intelligent et savoureux.»
Roman historique? Roman véridique? Histoire fictionnée? Difficile à dire. En tout cas, Gérard Guégan, qui nous avait déjà fait le coup avec Pierre Drieu la Rochelle, Roger Vailland, Louis Aragon, Ernest Hemingway, Hammett et quelques autres, excelle dans un genre qu’au fil des livres il a façonné. Pour notre plus grand plaisir. Serait-ce son goût pour le cinématographe qui le conduit à écrire ainsi? C’est fort possible. Guégan aime procéder par épisode, par scène. On se croirait, souvent, dans un film. C’est agréable même quand c’est dramatique. Il avait imaginé une manière de procès improvisé intenté à l’attachant Drieu La Rochelle par des résistants, dont, of course, Roger Vailland; il avait suggéré la rencontre possible – mouvementée, pittoresque, brutale, hilarante – entre Ernest Hemingway et Dashiell Hammet. Ici, il nous attire en mars 1936. Nikolaï Boukharine, le chouchou de Lénine, sent qu’il n’est plus en odeur de sainteté. Pourtant, Staline lui confie subitement une mission de confiance: racheter les manuscrits de Karl Marx détenus par les socialistes teutons exilés en Hollande. Le chef suprême accepte même que la maîtresse de Nikolaï, Anna Larina, «une belle effrontée» de vingt-cinq anssa cadette, rejoigne celui-ci à Paris. À Paris justement, il s’en passe de belle. Un attaché militaire soviétique, «saoul comme un cochon», est retrouvé noyé dans la Seine; Boukharine picole du vin d’Auvergne, du chardonnay et mange du pâté de lapin dans un bougnat en compagnie d’André Malraux. On y croise les ombres de Gérard de Nerval, de Nicolas Edme Restif de La Bretonne; Nikolaï discute le coup avec Paul Nizan et avec les membres du groupe Octobre, dont Raymond Bussières. Grâce à une narration menée tambour battant à la faveur d’un tutoiement original et des dialogues percutants comme ceux d’un Patrick Besson au sommet de sa forme, Gérard Guégan s’amuse, jubile. Il nous amuse par la même occasion et nous sert, tout chaud, tout vif, tout frais un roman intelligent et savoureux. Chapka basse! PHILIPPE LACOCHE

Nikolaï le bolchevik amoureux, Gérard Guégan; éd. Vagabonde; 173 p.; 13,50 €.
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