
Le film Les Vieux de la vieille, de Gilles Grangier (1960) a été rediffusé, il y a peu, à la télévision. Quel bonheur! Adapté du roman éponyme de René Fallet qui participa à l’adaptation en compagnie du réalisateur et de Michel Audiard (qui écrivit les dialogues), l’œuvre fait figure aujourd’hui presque d’un classique. L’histoire, si française, vaut son pesant de picrate. Baptiste Talon (Pierre Fresnay), retraité de la SNCF, revient dans son village natal de Vendée où il retrouve ses copains Blaise Poulossière (Noël-Noël), ancien éleveur de porcs, et Jean-Marie Péjat (Jean Gabin), ex-réparateur de vélos. Talon a pris la décision de finir ses jours à l’hospice de Gouyette; il parvient à convaincre ses deux potes de se joindre à lui. Et les voilà partis, les musettes remplies de bouteilles de pinard car, faut-il le préciser, le trio ne crache pas sur le sang de la vigne. Leur déplacement jusqu’à Gouyette sera ponctué d’aventures diverses, péripéties singulières et hilarantes. À l’hospice, ils ne tarderont pas à s’ennuyer ferme; ils n’auront qu’une hâte: prendre la poudre d’escampette et revenir au village. J’adore ce film que j’ai vu au moins une dizaine de fois; je ne m’en lasse pas. Peut-être me rappelle-t-il l’enfance. Ces films que je regardais, au début des sixties, sur le téléviseur Ribet-Desjardins en noir et blanc de mes parents, le dimanche, vers 17 heures, alors que, l’hiver, les paysages de ma bonne ville de Tergnier prenaient des couleurs de vieil étain. Ma grand-mère et mon grand-père (qui ressemblait un peu à l’immense Noël-Noël), ancien Poilu de la Somme, se joignaient à nous; ils ne possédaient pas la télévision et, si mes souvenirs sont bons, ne l’ont jamais possédée. J’entends encore leurs rires éclatants qui se perdent dans la nuit du temps qui passe. Après le film, il y avait Thierry la Fronde, un autre grand classique. Jean-Claude Drouot avec ses collants moyenâgeux. C’est si loin, tout ça… Pourquoi ce film me séduit-il autant? Certainement parce qu’il symbolise une France que j’ai tant aimée et qui n’est plus. Parce que, aussi, il bouillonne de talents. Les comédiens Noël-Noël, Jean Gabin (alors âgé de 56 ans, il accepta pour la première fois de se laisser transformer physiquement afin de faire plus vieux que son âge) et Pierre Fresnay (qui arrêta ensuite sa carrière cinématographique) sont au sommet de leur art. Audiard, comme à son habitude, excelle. Les bons mots fusent. Grangier jubile en mettant en images le livre de Fallet; le burlesque succède au cocasse. La langue française, triturée, malaxée, apprivoisée, convoque Rabelais et Restif de La Bretonne. L’Histoire, la grande, celle de la Grande Guerre, est omniprésente. On y évoque, au détour d’une conversation avinée, les Dardanelles, mais aussi les tranchées. L’arbitre, parce qu’il n’est pas anglais, est renvoyé à son ballon et à ses filets par les vieux ronchons. Et tous ces seconds rôles (André Dalibert, Jacques Marin, Robert Dalban, etc.) qui crèvent l’écran. On est si bien dans ce film amniotique, manière de ventre douillet et maternel d’une France des Trente glorieuses qu’on est en droit de regretter.

Dimanche 7 avril 2019.
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