C’est un bandeau en haut de couv’ qui alerte et interpelle: « Qui veut encore la peau de Charb? » C’est surtout, derrière, une double-page enlevée et pleine de colère – assez légitime dans le numéro de ce mercredi de Charlie hebdo.
La raison de ce coup de gueule, graphique et éditorial ? Un tract du syndicat Solidaires-Etudiants de l’université Paris VII-La Sorbonne qui demande… « l’annulation pure et simple » d’une lecture-débat prévue ce 31 janvier autour du livre de Charb Lettres aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes« . Pour le syndicat: « il nous semble apparent que le débat sera, une fois de plus, centré sur la question de l’islam et consistera à remettre en cause la lutte contre les violences racistes islamophobes et la parole de leurs victimes« . A l’AFP, les responsables locaux de Solidaires expliquent que le problème n’était pas tant la pièce que le débat qui devait la suivre, avec le metteur en scène Gérald Dumont, la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo, Marika Bret, ainsi que le vice-président à la Vie culturelle de l’université, l’ethnologue Pascal Dibie, et la chercheuse en arts du spectacle Isabelle Barbéris.
On avait évoqué, en son temps, ce livre devenu testamentaire de Charb, paru alors que le directeur de Charlie hebdo venait de se faire assassiner. Livre-témoignage sur les combats menés par le journaliste, livre intéressant et incitant à la réflexion, d’ailleurs. Et la pièce qui en avait été tiré avait également défrayé la chronique, à Avignon ou à Lille, par de précédentes demandes d’interdiction.
Ce qui apparaît encore plus consternant ici, derrière une vigilance anti-islamophobe et anti-raciste d’apparence (et, en tout cas assez délirante au vu de l’objet de la mobilisation), c’est de voir un syndicat étudiant marqué à gauche, voire à gauche de la gauche – en appeler ni plus ni moins à la censure d’un débat à l’université !
Face à cela, les dessinateurs de Charlie se sont déchaînés. On notera un dessin-affiche très cinglant (non signé mais au style faisant penser à Riss) détournant une fameuse affiche anti-gaulliste de Mai 68. Riss encore ironise aussi sur les prochaines interdictions à venir à la Sorbonne : « Don Juan: trop sexiste, La Cage aux folles: trop homophobe, Cyrano de Bergerac: trop gros nez« , etc. Avec deux étudiants Sud – Solidaires déclarant « notre fac c’est pas une poubelle« .
Foolz, de son côté, fait plus décalé et ironique, en montrant Diderot (le nom reprise par l’université Paris VII) – dessous une phrase annonçant qu’il s’oppose à la pièce de Charb: « vous voulez dire Charb.e.s ?« . Et, plus direct: « inondation. A la Sorbonne, la connerie a déjà atteint son pic« … en montrant trois étudiants de Solidaires, dans l’eau jusqu’à la taille et soutenant un panneau : « Non au Théâtre ce soir« .
Pour avoir déploré ici l’obsession devenue récurrente de Charlie sur l’islam ces dernières années, on peut saluer ici la vigueur de sa réaction en défense de la liberté de penser. Et, au-delà des dessins, Riss livre un éditorial d’une grande clarté (revenant notamment sur la coupure étant apparue entre antiracisme et antifascisme depuis les années 1990 avec l’apparition de l’intégrisme religieux au sein de l’islam) et définissant ce qu’il estime être la ligne de Charlie hebdo. Un rappel opportun:
« (…) Charlie hebdo a toujours combattu et continuera de combattre le racisme ET le totalitarisme en même temps. Le clivage n’est pas entre les musulmans et les non-musulmans. Il n’est pas entre les religieux et les non-religieux. Il n’est pas entre les Français issus de l’immigration et les Français qui ne sont pas issus de l’immigration. Le seul clivage fondamental est celui entre les défenseurs de la liberté et les défenseurs du totalitarisme. Entre ceux qui défendent la démocratie et ceux qui veulent la détruire. Qu’importe d’où on vient tant qu’on défend la liberté et la démocratie. Mais qu’importe aussi d’où on vient quand on propage le totalitarisme et l’intégrisme: ils devront être combattus sans états d’âme, quelles que soient leurs origines. Parce que les origines des gens, on s’en fout. La seule chose qui compte, ce n’est pas d’où on vient, mais vers où on veut aller ensemble. Il n’y a que de cette manière qu’on pourra réconcilier l’antiracisme et l’antifascisme« .
Ce petit extrait précise bien l’enjeu, mais l’ensemble du texte mérite d’être lu. Et c’est aussi l’occasion de saluer – ce qui n’avait pas été fait en son temps – l’avant-dernier numéro de Charlie hebdo « spécial complots », où l’hebdomadaire faisant montre, de nouveau, d’une saine autodérision et trouvait le ton juste, dans l’ironie, l’humour absurde et la satire. Bref, ce qu’on attend d’un hebdo satirique.
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