L’Ours est un écrivain comme les autres, Kokor, d’après le roman de William Kotzwinkle. Editions Futuropolis, 128 pages, 21 euros.
En 2016, l’extravagant écrivain américain William Kotzwinkle (auteur notamment d’une novelisation d’E.T.) obtenait un certain succès avec son roman L’ours est un écrivain comme les autres. Et parmi ses lecteurs s’est trouvé un certain Alain Kokor. Aujourd’hui, L’auteur havrais s’empare donc, pour sa première adaptation littéraire, des aventures de ce plantigrade romancier ; un personnage qui s’insère bien dans son propre univers poétique et doucement loufoque, plein de supplément d’âme ou de vers à pied.
Tout débute pourtant de manière presque réaliste dans ce récit, lorsque l’écrivain Arthur Bramhall, qui s’était isolé dans un coin perdu du Maine pour écrire, voit son roman – compilation laborieuse de grands succès littéraire – détruit par un incendie. Dépassant la dépression, Bramhall se remet à l’écriture avec acharnement. Et il rédige alors son chef d’oeuvre, Désir et Destinée. Pour ne pas revivre le traumatisme précédent, il prend la précaution d’enterrer son oeuvre au pied d’un arbre, au fond de la forêt. Loin des hommes et de leurs dangers… mais sous le regard interloqué d’un ours qui, avec sa logique primaire et animale, voit dans ces feuillets une perspective d’argent qui pourrait lui permettre d’acheter plein de miel. Et bientôt, après plusieurs péripéties qui vont l’amener jusqu’à New York, il parviendra tout naturellement à vendre le livre à un éditeur, à devenir un auteur de best-sellers courtisé sous le nom d’emprunt de Dan Flakes et même à connaître l’amour dans les bras d’une séduisante journaliste. Sans rien perdre de son animalité première.
Dans ce qui est avant tout une bonne satire du monde éditorial, le grand défi est bien sûr de rendre crédible cette transformation d’un ours – un vrai ours brun, tout en poils et en rondeur – en romancier à succès. Et cela donc sans rien masquer de la réalité animale de l’ours. Ici, cette transition s’opère par le biais de pictogrammes qui expriment, avec une grande lisibilité, la pensée sommaire du personnage. Ensuite, il en va comme de beaucoup d’oeuvres fantastiques ou absurdes: il suffit d’y croire ou de le vouloir, comme le petit monde littéraire new yorkais ne va pas s’attacher à l’apparence ou à la personnalité de l’auteur à partir du moment où son oeuvre apparaît intéressante et, surtout, susceptible d’être source de bénéfices !
Face à cela, avec sa candeur, l’ours fait figure de candide et de révélateur de la société humaine. L’animal s’humanise, sans perdre un certain bon sens, et où l’homme s’isole et s’animalise.
Le style de Kokor se prête bien à cette critique doucement ironique du monde littéraire, avec son trait simple, cette capacité à susciter l’expressivité à partir d’un rien, le tout restitué dans une bichromie rouge-orangée qui donne un ton original et une touche d’étrangeté supplémentaire à cette drôle de fable.
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