Quantcast
Channel: Courrier plus
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1764

Un regard de pluie pour une mélodie

$
0
0

       

Pia Moustaki (à droite), en compagnie de Santina Calderaro et de son mari.

Serais-je trop sensible? Mon cœur se mit à battre tout à coup quand je la vis. Pour être tout à fait exact, mon cœur s’emballa dès que je compris que, la charmante dame rousse qui me précédait à la faveur de notre entrée dans les anciennes écuries de Noisy-le-Roi – où se déroulait le salon du livre – n’était autre que Pia Moustaki. La fille du regretté Georges Moustaki. Elle venait dédicacer Fille de métèque (éditions Plon) qu’elle a consacré à son père. Elle y raconte qu’elle est la fille de Georges, auteur-compositeur à la grâce infinie, poète dans l’âme, né à Alexandrie, et de Yanick, une Bretonne de Roscoff, dans le Finistère Nord. Pia, elle, vit le jour à Levallois-Perret. Sa première guitare lui fut offerte par Édith Piaf. (Tout un symbole.) Elle côtoya au cours de son enfance et de son adolescence Paco Ibañez, Jacques Higelin, le génial écrivain Albert Cossery (combien de fois ai-je tenté de lui parler, lorsqu’il fumait, paisible, à la terrasse du Flore? Je n’ai jamais osé l’aborder), Catherine et Maxime Le Forestier, Barbara, Jeanne Moreau, Renaud, etc. Il y a pire comme initiation à la vie d’artiste. Quelques jours plus tôt, j’avais entendu la voix de Pia sur les ondes de France Inter. Elle racontait son père, leurs relations parfois difficiles, notamment lorsqu’à son tour, elle décida d’embrasser la carrière de saltimbanque; il fit tout, disait-elle, pour l’en dissuader. À Noisy-le-Roi, Pia était accompagnée par son mari, discret et fort sympathique (coïncidence incroyable: il me confia qu’il était le cousin de mon cher confrère et bon camarade, le pétillant et amusant Jacky Lamborion avec qui je fis mes classes de plumitif sur les bancs anciens de L’Aisne Nouvelle, rue Henri-Martin – en face de la prison; les matins d’hiver certains détenus, vraisemblablement de Tergnier, me hélaient; j’en étais tout ému! -), et par la délicieuse Santina Calderaro, libraire et amie chère de Pia. En discutant avec cette dernière, je ne cessais de penser à mon père qui nous a quittés il y a un an et demi. Très littéraire lorsqu’il était jeune adulte (ma mère m’avait confié qu’il écrivait, discrètement, des poèmes), il entra ensuite à la SNCF et passa le plus clair de son temps à s’occuper de sa famille et de son jardin, ce qu’il fit avec douceur, bonté et talent. Dans sa vie d’homme, il oublia Lamartine, Verlaine et Chateaubriand; le soir, lorsqu’il revenait, crevé, de son boulot, il lisait L’Union et La Vie du Rail. Cependant, je me souviens d’un Noël des années 1970. Nous avions eu la bonne idée de lui offrir un 45 tours, «Le Métèque», de Georges Moustaki. Nous savions qu’il appréciait cet artiste et cette chanson qu’il entendait à la radio. Je le revois poser délicatement la rondelle de vinyle sur la platine du Teppaz familial. Il se mit à fredonner la si jolie mélodie; ses yeux, alors, se perdirent vers le jardin gelé, et finirent par se couvrir de pluie. Peut-être repensait-il à ses poèmes d’antan, à ses parties de football sur le terrain de l’Entente sportive des cheminots ternois (ESCT)? Peut-être entendait-il le bruit des forteresses volantes de nos amis alliés qui bombardaient Tergnier pour tenter d’anéantir la barbarie nazie? C’était beau, la joie de cet homme simple et bon, un cheminot anonyme, en ce matin de Noël des Trente glorieuses. Je te salue mon vieux père; tu me manques.

                                             Dimanche 27 octobre 2019.

 

L’article Un regard de pluie pour une mélodie est apparu en premier sur Courrier plus.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1764

Trending Articles