La ballade du soldat Odawaa, Cédric Aprikian (scénario), Christian Rossi (dessin), Walter (couleur). Editions Casterman, 88 pages, 19 euros.
Joseph Odawaa, indien Cree, dont les exploits se diffusent tout au long de l’album et du front de l’ouest, est un mythique “scout” indien canadien, mobilisé pour venir combattre en France et dont les exploits de tireur sèment l’effroi parmi les Allemands et galvanisent les alliés au cours de cette année 1915. C’est cette réputation qui incite l’Etat-major français à enjoindre au capitaine Keating, référent et chef des snipers indiens, de détacher son soldat d’élite afin d’éliminer une bande de pillards qui n’hésite pas à voler, violer et terroriser les populations civiles autour de la ligne de front. Une bande qui se réclame du commandant Heinrich Von Schaffner… qui aurait pourtant été l’une des victimes d’Odawaa, plus d’un mois auparavant ! C’est alors une étrange course-poursuite qui s’engage, rendue encore plus complexe quand un Allemand s’évade du camp de prisonniers dirigé par Keating, bien décidé lui aussi semble-t-il à retrouver les pillards de Von Schaffner.
Le centenaire de la Première Guerre mondiale a initié une offensive éditoriale d’albums de bande dessinée sur ce thème (non sans avoir fait naître de très bons récits, comme Le Chant des Cygnes ou le collectif Traces, pour ne citer que ces deux-là ; pour le reste, on peut se reporter à notre onglet “Centenaire 14-18”). Mais pas de quoi épuiser le sujet, néanmoins, comme le prouve cette Ballade du soldat Odawaa, du vétéran Christian Rossi et d’un jeune scénariste, Cédric Aprikian, qui réalise là son premier album et révèle d’indéniables qualités de conteur d’histoires.
Car cet album partage l’approche de l’Homme qui tua Liberty Valance, de John Ford (“Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende“). Et cela jusque dans ses références stylistiques au western, bien au-delà de la présence surprenante des indiens ; Aprikian étant un grand fan de Sergio Leone, c’est effectivement un récit légendaire (à divers niveaux), qui se déploie ici. D’apparence simple, voire manichéen au début, l’intrigue se complexifie et acquiert une vraie densité, non dénuée d’une certaine ironie quant à la réalité des enjeux de cette quête meurtrière et sanglante. Avec cette matière, l’insertion fugitive d’un certain caporal Adolf Hitler, en fin d’album, apparaît même largement superflue, voire contre-productive.
Le prologue, avec ses six premières planches, donne le ton, violent et dénué de tout sentimentalisme avec un sniper invisible et apparemment invincible éliminant un à un toute une patrouille de uhlans, avant de surgir de sa cachette surprenante, les entrailles d’un cadavre de cheval. Et cette approche, entre réalisme et décalage original se poursuit tout au long de l’histoire, entre récit de guerre et poursuite infernale, transposition sur le front occidental de la Première Guerre d’une vengeance à la Il était une fois dans l’Ouest.
Après l’ambiance solaire du récent Coeur des amazones, Christian Rossi plonge dans une atmosphère bien plus sombre, accentuée par le fond noir des pages et une mise en couleurs ténébreuses assurée par le rémois Walter, en aplats aux teintes froides et terreuses. Et cette Ballade a tout du chant guerrier mythologique, mais sans négliger de lui restituer aussi une dimension nettement plus humaine.
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