Nemesis le sorcier, les hérésies complètes, vol.1, Pat Mills (scénario), Kevin O’Neill et Jesus Redondo, Bryan Talbot (dessin). Editions Delirium, 368 pages, 35 euros.
Après avoir fait découvrir à ses lecteurs l’univers totalitaire décalé de Judge Dredd, le magazine britannique AD200 lançait en 1980, dans une ambiance de science-fiction similaire, une série encore plus loufoque et punk : Nemesis. Fidèle à leur politique de réédition – de prestige – de ces oeuvres cultes, les éditions Delirium de Laurent Lerner font de même avec la publication de ce premier volume des Hérésies complètes, à savoir les récits de Nemesis le Sorcier.
Dans ce très lointain futur, la Terre est devenue Termight (ou Termite). Envahie un temps par des aliens, son sol a été dévasté par la guerre nucléaire. L’humanité vit désormais sous le sol, ayant creusé la planète pour y créer des cités reliées par un réseau de tubes gigantesques. Mais elle a aussi instauré un empire terrorisant toute la galaxie et pourchassant pour les anéantir tous les extraterrestres. Cette société fanatisée est dirigée d’une main de fer par Torquemada, l’inquisiteur, à la tête de son armée de Terminators. Mais tout pouvoir absolu secrète aussi son adversaire. Ici, celui-ci a la forme de Nemesis, le démon sorcier, qui cherche à rallier à lui la résistance. Il a l’audace d’opérer dans le Tube de Termight comme sur des multiples planètes, dans un combat perpétuellement recommencé contre Torquemada.
On ne saurait donc trop remercier la rigueur de certains religieux officiant dans des écoles britanniques. Comme l’évoque Pat Mills dans la préface de ce somptueux ouvrage, Torquemada, ainsi que Judge Dredd, ont été inspirés au scénariste de la Grande Guerre de Charlie par un moine “préfet de discipline dans son école“. Une origine qui s’exprime très littéralement dans Nemesis, dans une parfaite inversion des valeurs établies, avec son ordre d’inquisiteurs fanatiques faisant régner la peur et rejetant toute différence et son héros en forme de démon en armure et aux pieds de boucs inversés. Et c’est aussi un refus éditorial du récit qui deviendra l’histoire initiale de Nemesis, le Tube, qui est à l’origine de toute cette saga délirante.
Influencé par Métal Hurlant, Patt Mills et son dessinateur Kevin O’Neill (qui oeuvrera plus tard sur La Ligue des Gentlemen extraordinaires) lancent leur série comme une succession “d’impros comics”. Et cette frénésie se retrouve tout au long des épisodes. Avec des atmosphères parfois fort différentes, entre la SF urbaine de Terror Tube, l’ambiance très héroïc-fantasy de l’alliance alien (avec cette fois Jesus Redondo au dessin) ou les décors steampunk délirants d’une Angleterre victorienne revisitée dans la longue et dernière aventure, l’Empire gothique (débutée par Kevin O’Neill et achevée par Bryan Talbot, futur co-auteur de Louise Michel la vierge rouge).
Le dessin diffère aussi un peu selon les histoires, plus caricatural au début, glissant plus vers un style réaliste ensuite. Mais la fantaisie débridée des récits, elle, ne se dément pas. Tout comme la subtile dénonciation de l’impérialisme, du fanatisme religieux et du racisme, derrière l’esprit serial et les multiples rebondissements fantastiques (trop nombreux pour tenter de les résumer ici).
Il faut aussi saluer le travail d’édition (comme souvent chez Delirium). Ce condensé de folie graphique est magnifiquement inséré dans un joli ouvrage en forme d’écrin noir, qui met bien en valeur le noir et blanc éclatant des planches. Clairement ensorcelant !
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