

François Flamment, 50 ans, d’Amiens, ancien instituteur, aujourd’hui à la recherche d’un emploi (avis : c’est un garçon charmant, cultivé et discret) adore lire les Dessous chics. Je pourrais écrire que c’est un homme de goût, mais je m’abstiendrai. Lorsqu’il me voit, mardi, devant la Maison de la culture d’Amiens, à la faveur du rassemblement de la grande manifestation contre la réforme des retraites proposée par MM. Macron et Philippe, il s’avance vers moi; nous faisons un brin de causette parmi les pétarades de mes frères cheminots et le brouhaha des manifestants.

Cela n’échappe pas à mon camarade syndiqué, Jean-Marc, confrère du Courrier picard, qui, à son tour, se joint à notre discussion. Je lui présente François comme un lecteur des Dessous chics. «Ton seul lecteur, tu veux dire!» lance-t-il avec l’humour vachard qui le caractérise.

Je salue mes amis du collectif les Poneys, copains du BDM. Le cortège, alors, s’ébroue vers le Sud sous un ciel menaçant. Nous suivons d’abord, mon seul lecteur et moi, le ballon de la CGT, mon cher syndicat, puis la camionnette de celui-ci car, en bon ancien critique de rock, j’ai repéré qu’il diffuse de toniques chansons engagées, voire enragées; tout cela n’est pas pour me déplaire. MM. Macron et Philippe, et leur équipe d’ultralibéraux antisociaux, me contrarient fort, ces derniers temps. Un peu de musique équipée de paroles hostiles à l’esprit de leurs coups tordus me ravit. Au fond, je suis un homme simple. Toutes les femmes et filles qui ont traversé ma vie d’errance, de misère et d’excès ont toujours su en témoigner quand il le fallait. «Un grand soleil noir tourne sur la vallée/ Cheminées muettes, portails verrouillés/ Wagons immobiles, tours abandonnées/ Plus de flamme orange dans le ciel mouillé…» On dirait du Blaise Cendrars; c’est du Bernard Lavilliers. «Les mains d’or». C’est superbe. Nous passons devant le bâtiment de la CAF, sur le boulevard. Je vibre; je rêve. Je pense à mes rencontres anciennes avec Lavilliers. Nos longues discussions autour de Cendrars, justement. J’étais chez Best, 23, rue d’Antin, à Paris. Déjà marxiste, petit-fils et fils de cheminot, enfant de Tergnier-la-Rouge, enragé contre le capitalisme. Pourtant, Giscard, malgré ses bijoux, n’était pas Macron; lui, fichait à peu près la paix aux acquis sociaux que nos anciens avaient arrachés aux doigts crochus du haut patronat.

Je me retourne, aperçois une pancarte d’un Rimbaud en pleurs, brandie par des enseignants, et une autre, hilarante : «La cité se colère.». D’autres paroles s’égrènent de la camionnette cégétiste: «Petit papa Macron», un pastiche de «Petit Papa Noël», un brûlot de Thomas Gaëtan; puis, il est question de «Lenine burgers» et de «femmes qui portent des faux cils». A l’angle de la rue des Otages, la police. Fumigènes. Je fonce en première ligne avec les Gilets jaunes qui n’ont peur de rien. Nous sommes cinq ou six à nous faire gazer sévère. Je pleure comme Rimbaud, mais j’écris moins bien. Une ancienne amie très très chère s’inquiète; elle me dit qu’il faut du «sérum phy». Je comprends qu’elle veut dire «sérum physiologique». Les filles sont amusantes et douces. Même sur les manifestations. Gazé comme un vieux renard dans le terrier de mes convictions qui emmerdent la modernité prônée par les ultralibéraux du macronisme. A 63 ans, est-ce bien raisonnable?




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