Son roman, «Anoushka 79», est livre d’une époque; son narrateur, Simon, enquête sur la disparition d’une punkette. Plus qu’un bon bouquin, c’est un véritable document sur un mouvement capital de l’histoire de la musique, de l’art et de la littérature.

Les lecteurs les plus curieux pourront aller voir sur Internet pour y regarder des extraits du film culte La brune et moi, réalisé par Philippe Puicouyoul, en 1981. Ce long-métrage regroupe les principaux combos du mouvement punk parisien des années 1970, précisément de 1976 à 1979: Go-Go Pigalles, les Privés, Édith Nylon, Ici Paris, mais aussi des extérieurs comme Marquis de Sade et les Dogs. Parmi les comédiens: Pierre Clémenti (acteur, chanteur de Crouille Marteau, décédé d’un cancer du foie en 1999), Pierre-Jean Cayatte (musicien qui jouera avec Métal Urbain et Asphalt Jungle; il se tira une balle dans la tête quelques jours après sa mort fictive dans le film), Ricky Darling (guitariste – hors pair! – dans les mêmes groupes; disparu). On y aperçoit aussi une fort jolie punkette élancée, longue liane à la crinière de lionne. Elle se prénomme Anoushka. Elle aussi disparaîtra après la sortie du film. Plus aucun signe de vie; aucune trace. Un vrai mystère.
«J’ai su récemment – à cause du livre – la vérité. Elle est vivante. Je n’en dirais pas plus.»
Patrick Eudeline
C’est ce mystère que tente d’élucider Simon, le narrateur du roman de Patrick Eudeline. Simon, fils d’un chanteur-comédien; «le fils du Grand homme», comme il est surnommé dans l’opus. Un Simon qui ressemble comme deux gouttes de chianti à Simon Reggiani, fils de Serge, frère de Stéphan, suicidé dans le lit du Grand homme, à Mougins, en juillet 1980. «Simon est un personnage si romanesque», commente Eudeline, interrogé à ce propos. «Mais psychologiquement, pratiquement, le Simon du livre est un personnage composite. Simon Reggiani était un petit punk qui suivait Asphalt Jungle. Il y a de lui au niveau biographique notamment, mais pas seulement. J’ai construit un personnage mixte.» Nous sommes en 1979; Simon, fasciné par Anoushka, veut à tout prix la retrouver. Pour ce faire, il rencontre les nombreuses personnalités de l’époque qui l’ont côtoyée. Elles évoluent dans un monde fascinant mais délétère car – très rock’n’roll – fait de drogue, de violence, de nuits moites et de sexe extrême. Patrick Eudeline, chanteur d’Asphalt Jungle, critique rock à Best, connaît cette histoire-là comme la poche de son perfecto. Soixante-huit, les gauchistes et l’underground ne sont pas si loin. Les fantômes d’Albertine Sarrazin et de Michel Lancelot hantent les rues de la capitale. On se retrouve au Rose Bonbon. Alain Pacadis parcourt la nuit myope. Les Heartbreakers embrasent le Bataclan. Patrick Verbeke, Jacky Chalard, Jean-Charles Smaine se souviennent que le blues et le rockabilly ont existé un jour. Cela semble si loin. Car, la vague punk de ces années-là est un tsunami. Dangereux.Simon se réveille un matin au côté d’un corps sans vie: celui de Deborah, une autre punkette. Fiction ou réalité? «Il s’agit du mix de deux histoires vécues», explique Eudeline. «Par moi également. Je ne peux en dire plus. Presque tout le monde est mort mais un ou deux témoins-acteurs sont encore là.» Et Anoushka, qu’est-elle devenue? «J’ai su récemment – à cause du livre – la vérité. Elle est vivante. Je n’en dirai pas plus. C’était un personnage… Et elle a effectivement disparu après avoir tourné dans un film punk culte La brune et moi.» Patrick sait, mais le mystère reste entier. Qu’importe : c’est un livre remarquable qu’il nous donne à lire.
PHILIPPE LACOCHE












Patrick Eudeline raconte
« Presque tout le monde est mort!»
Patrick Eudeline a bien voulu répondre à nos questions.
Votre roman semble très largement autobiographique. Qu’en est-il?
Oui. Tout est inspiré de personnages et faits réels. Vécus par moi souvent. Mais c’est un roman. Même le décor, les acteurs… tout est vrai. Sauf, finalement Anoushka et Simon qui sont romancés.
Est-ce Anoushka qu’on voit dans le fameux film qu’on peut trouver sur Youtube?
Oui
Simon est-il sorti avec elle?
Probablement… Mais il n’y a pas eu – à ma connaissance – de vraie histoire d’amour. C’est la part du roman.
Ricky Darling est probablement mort
La scène savoureuse de la rencontre entre Simon et la mère d’Anoushka est-elle réelle?
Inspirée de mon vécu. En fait, c’était la mère de quelqu’un d’autre…
Qui était Deborah? Simon l’a-t-il réellement retrouvée mort? De quoi est-elle morte?
Mix de deux histoires vécues. Par moi également. Je ne peux en dire plus. Presque tout le monde est mort mais un ou deux témoins-acteurs sont encore là.
Et ce jeune flic assez rock à l’allure anglaise; réalité ou invention?
C’est à moi que c’est arrivé; c’est moi qui l’ai croisé ! Toute la séquence, de la pizzeria à chez moi, est vécue ! Je prête l’aventure à Simon. Comme souvent…
Parlez-moi de Ricky Darling dont vous faites un magnifique portrait. Qui était-il alors? Que représente-t-il aujourd’hui?
Il est “ probablement “ mort. C’était mon guitariste… Un talent fou. Né dans le mauvais pays. Une sorte de Syd Barrett fasciné par les Who. Ricky à cause de’ “ Don’t lose that number “. Ricky Darling à cause d’Eric Darling et du Velvet. Je l’avais rebaptisé, cet Eric Feidt ! (N.D.L.R. : En fait, Patrick et quelques autres, ont beaucoup aidé Ricky Darling qui, en plus de problèmes avec la dope et l’acide, avait de grave soucis psychologiques. Patrick se souvient qu’un jour, sur la plage de Deauville, il l’avait sauvé de la noyade. Ricky avançait dans les flots, vers le large, en proférant des paroles incompréhensibles. Aujourd’hui, selon Patrick, il est vraisemblablement décédé. Mais où et quand? Autre mystère. Il n’avait plus de famille, sauf une soeur qui n’a pu être retrouvée. Une chose est sûre : c’était un grand artiste.)
Votre roman est celui d’une époque. Comment la définiriez-vous?
Comme le début de la fin. Le punk a été le dernier bal d’une période unique dorée et magique. En 1979, déjà, tout était plié même si ça bougeait encore beaucoup. Mais les 80’s annonçaient la débâcle qui allait suivre. Sida, chômage, mort de l’Art ou quasi, aujourd’hui virus. Notre période s’enfonce de décennie en décennie. Loin de l’Aquarius rêvé par les hippies.
Pourquoi l’avoir écrit aujourd’hui?
Parce que tout va de mal en pis. Et puis, tellement de gens ont disparu que c’était plus facile au niveau des susceptibilités.
Que préparez-vous tant en matière d’écriture, que de musique, ou en matière de journalisme?
Le prochain ? Titre provisoire Le monde d’avant. Et moi et moi et moi. Cela ne sera peut-être pas le titre définitif mais ça donne une idée. La France, le monde disparu via mon autobio. Et mon disque de chansons blues va bien finir par être finalisé. Je fais (enfin faisais…) des concerts. Sinon, j’adore ferrailler via Causeur ou l’Incorrect. Il ne faut pas que les voix rebelles ou libres se taisent ! Et j’espère en être une. Et je n’ai pas peur des insultes.
Propos recueillis par
PHILIPPE LACOCHE
Anoushka 79, Patrick Eudeline; Le Passage; 228 p.; 18 €.
Lire aussi l’interview complète de Patrick Eudeline sur le blog de Lacoche, Les Dessous chics (avec de nombreuses photographies rares, voire inédites aimablement prêtées par Patrick Eudeline).
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