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Quand le travail en vient à tuer

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 Le travail m’a tué, Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande (scénario), Gregory Mardon (dessin). Editions Futuropolis, 120 pages, 19 euros.
Le Burn out, Danièle Linhart (scénario), Zoé Thouron (dessin). Editions Le Lombard, coll. La Petite bédéthèque des Savoirs, 72 pages, 10 euros.

Ce 11 mai, début d’un déconfinement progressif marque le retour des salariés au travail. Aspiration pour une majorité, semble-t-il. Découverte aussi, au fil des dernières semaines de nouvelles manières de concevoir son activité pour ceux qui ont basculé en télétravail. Période de réflexion aussi sur le sens et les modalités de ce travail.

Deux albums récents se penchent avec force sur certaines évolutions et surtout dérives de ce rapport contemporain au travail et des drames qu’il peut susciter.

Adapté du livre Travailler à en mourir, enquête co-écrite par les journalistes Paul Moreira et Hubert Prolongeau (qui en a co-scénarisé cette version dessinée), Le Travail m’a tué plante d’entrée le décor. Celui d’un tribunal où une veuve et son avocate attendent une décision de justice, pour statuer sur la “faute inexcusable” de l’entreprise ayant abouti au suicide sur son lieu de travail du mari, cadre à la trajectoire exemplaire pourtant.

Enfant de la classe ouvrière, fils de deux immigrés espagnols, Carlos Perez est un bel exemple de méritocratie républicaine, diplômé de Centrale, il réussit à accomplir son rêve d’enfant en devenant ingénieur dans une grande firme automobile. Participant à la conception de modèles à succès dans ce mitan des années 1980, ce travailleur acharné poursuit sa progression interne, se marie, à un enfant puis un second. Se donnant à fond pour son travail, au risque de tensions familiales croissantes, il va se faire happer par les nouvelles directives prises par l’entreprise. Un nouveau site ultramoderne en banlieue, vanté comme plus adapté mais cassant les cohésions d’équipe au sein d’un open space bruyant et impersonnel, et induisant pour l’ingénieur de longs trajets quotidiens ; des nouveaux managers imposants des “objectifs individuels” de plus en plus élevés, puis des missions à l’international vont finir par épuiser, physiquement et psychiquement Carlos, jusqu’au geste irréparable, ultime chute vertigineuse.

Inspiré de la vague de suicides ayant eu lieu au centre de recherches de Renault, sobrement dessiné avec un trait stylisé, en bichromie aux couleurs froides, cet album parvient très bien à décrire le processus broyant progressivement un salarié volontaire, pleinement en phase avec sa société mais progressivement dépassé par un système qu’il ne comprend pas.

Cette incompréhension quant à l’organisation du travail est au coeur du tome 28 de la toujours pertinente Petite Bédéthèque des savoirs, un numéro consacré au burn-out réalisé par la sociologue spécialisée dans le monde du travail Danièle Linhart auquel Zoé Thouron (qui s’était frotté aux côtés rugueux du récit social dans Florange, une lutte d’aujourd’hui) apporte son dessin simple et énergique.

Dans une explication et une mise en scène limpides, les deux auteurs répondent à ce paradoxe de voir un travail apparemment moins pénible se traduire par une vague de dépression, de malaise voire donc de suicides. Décryptant les nouveaux modèles managériaux, ce petit livre dévoile la source du “burn-out” (“syndrome d’épuisement professionnel” qui ne fut nommé qu’il y a cinquante ans, comme le précise David Vandermeulen dans sa préface) dans la contradiction entre une implication “personnelle, affective et émotionnelle” sollicitée par le management contemporain mais qui s’accompagne d’un “déni du véritable professionnalisme des salariés“. Ces derniers étant installés, d’une autre manière, dans un fonctionnement de type taylorien – celui qui fut violemment contesté en mai 68 – mais nouveau, en devant être un “relais actif et consentants“. Et le “burn-out” est la conséquence des effort que doit produire le salarié, contraint de suivre des critères imposés par sa direction qui peuvent être à l’opposé de ceux qui relèvent de son métier et de ses valeurs professionnels.

La démonstration, intellectuelle et théorique, prête le flanc à la critique par son aspect très globalisant de la situation, mais elle a le mérite incontestable de déconstruire certains discours à la mode et d’expliquer les causes des dérives aboutissant aux drames collectifs surgis chez France Télécom ou Renault.

Et la leçon, c’est que l’issue ne peut être que collective. On y revient très prochainement à travers un manhwa résolument original.

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